Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— D’ailleurs, l’écrit que vous redoutez tant et si justement est dans les mains d’un ami.

— D’un frère, peut-être ?

— Non, comtesse ; d’un homme dont vous n’avez jamais vu le visage, dont vous n’avez même pas entendu prononcer le nom. Je ne suis pas assez niais, assez imprudent pour faire courir des dangers inutiles à ceux que j’aime, pour ne pas trouver un confident sûr et implacable. Ma disparition vous coûtera cher, madame. Ma mort serait cruellement vengée.

— Ainsi, vous refusez ma première condition ? demanda-t-elle, frissonnant d’une rage contenue.

— Oui.

Hermosa était d’une pâleur de morte.

Un tremblement nerveux agitait tous ses membres.

Sa beauté, qui résistait à ses colères violentes comme une tempête des tropiques, prit un aspect fatal qui, malgré toute sa fermeté, troubla un moment la résolution du comte de Warrens.

Il se tut.

— Et ma seconde condition ?

— Laquelle ?

— Ma fille ?… Me rendrez-vous ma fille ?

— Je ne le puis.

La comtesse se frappa le front avec désespoir.

— Implacable ! fit-elle. Il me forcera à l’être moi-même… à l’être inutilement.

— Vous avez témoigné moins d’hésitation en deux circonstances différentes, répondit le comte, faisant allusion aux tentatives d’assassinat dont, à deux reprises diverses, il avait failli devenir la victime.

— J’avais perdu la raison… J’ai, retrouvé un calme momentané, une espérance que vous pouviez satisfaire… ne m’arrachez pas cette espérance.

— Impossible ! répéta Passe-Partout.

— Écoutez…, je vous le jure sur mon salut éternel…, je vous rends à l’instant même votre liberté… Je renonce à toute haine contre vous, si vous me donnez cette enfant !… Que je la voie ! que je l’embrasse ! que je l’emmène avec moi… Vous n’entendrez plus parler d’elle ni de moi…

— Cet enfant n’est-il pas le mien aussi ?

— Vous êtes un homme, vous ! vous avez tant d’autres affections ! tant de sujets de plus haute ambition ! Rendez-la-moi… dites-moi seulement où vous l’avez cachée… et par la mémoire de ma mère… de ma mère, entendez-vous…, je vous jure…

— Voyons, que ne jurez-vous par la mémoire de votre mère, madame ! dit avec une ironie terrible le comte de Warrens, qui, en ce moment poignant, se souvenait des amours de la jeune fille et du capitaine Noël.

Elle poussa un gémissement… et continua :

— Gardez le testament… gardez l’écrit du comte… Vous ne voulez pas fausser votre serment, je comprends cela… Je vous approuve même… Poursuivez-moi de votre haine, si vous avez de la haine contre moi… Vengez-vous,