Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/795

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vengez-le si vous pouvez, peu m’importe !… Mais l’enfant, rendez-moi l’enfant… Je la demande…, je l’implore…, je…, je la veux…

Le comte de Warrens secouait la tête.

— Non, murmura-t-il d’une voix basse mais ferme.

— Non…, je la veux…, cria-t-elle au comble de l’exaltation… Ma fille ! vous me l’avez volée…, vous me l’avez enlevée au mépris des droits humains les plus sacrés… Rendez-la-moi.., rendez-la-moi, il me la faut… Je la veux !…

Passe-Partout la regardait avec tristesse, mais il ne céda point.

Hermosa était splendide de fureur, de rage, de douleur maternelle.

La créole, si fière, si hautaine, pleurait de vraies larmes.

Ce démon indomptable s’abaissait à la prière devant l’homme qu’elle haïssait, qu’elle tenait en son pouvoir, que d’un signe elle pouvait faire broyer à ses pieds, devant cet homme qui la bravait !

Sa poitrine était soulevée par les sanglots les plus déchirants.

Sa voix sifflait, comme un rugissement de tigresse aux abois, entre ses dents serrées.

Vaincue par le désespoir, elle se laissa tomber aux genoux du comte, et avec un inexprimable accent de prière, les mains jointes et les yeux baignés de larmes, elle répétait :

— Mon enfant ! ma fille !

C’était un spectacle qui eût attendri le bourreau lui-même.

Il y eut entre les deux ennemis un long et terrible silence.

Passe-Partout releva froidement la comtesse.

— Ce que vous demandez est de toute impossibilité, madame ! dit-il enfin.

Elle fut sur pied en un moment.

Elle le regarda avec tant de haine qu’il crut sa dernière heure venue. Son œil se tourna vers la porte.

Derrière cette porte si bien close, il devait y avoir des hommes armés prêts à accourir à son premier signal.

Il porta la main à ses armes et recommanda son âme à Dieu.

La créole changea d’idée.

Elle éclata d’un rire strident et saccadé, nerveux et sinistre, puis elle lui dit :

— Adieu, Noël.

— Adieu, madame.

— Je vous ai supplié de me rendre mon enfant… vous me le refusez… c’est bien… prenez garde… À votre tour vous me supplierez de vous rendre un jour un être qui vous sera cher. À mon tour je serai alors aussi inexorable pour vous que vous venez de l’être pour moi.

— Soit.

— Quant à votre sort… il est tout décidé…

— C’est ?

— Une prison perpétuelle.

— Je vous croyais plus d’imaginative, madame la comtesse.

— Nous verrons à la longue qui se lassera de vous ou de moi.