Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/836

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— Ce nom ?

— Est celui de rowdies ou desperadores. Ces drôles se croient tellement sûrs de l’impunité qu’ils ont poussé l’outrecuidance jusqu’à s’organiser militairement. Leur lieu de rendez-vous est un barroom appelé Tamany-Hall, situé dans Portsmouth square. Ils sont littéralement aujourd’hui les maîtres de la ville. D’abord ils s’étaient intitulés les hounds ; mais aujourd’hui qu’ils sont ou qu’ils se croient, comme je vous le disais, assurés de l’impunité, ils ont changé ce titre en celui de regulators. Ils ont des tambours, des fifres, et ils font en plein jour des promenades militaires à la barbe des honnêtes gens, qu’ils dépouillent ou assassinent en plein jour.

— Ont-ils un chef ?

— Pardieu ! ils n’y ont pas manqué, ils en ont élu un auquel ils donnent le titre pompeux de lieutenant, c’est un nommé Sam Roberts, que j’ai vu et que j’ai étudié de très près. C’est même lui, je vous l’avoue, qui est cause de mon voyage dans l’intérieur.

— Lui ?

— Oui.

— Comment cela ?

— Ce drôle-là, bien qu’il ait changé aussi adroitement de peau que de nom, et presque de visage et de son de voix, me donne fort à penser. J’ai le soupçon que ce fameux lieutenant des Regulators pourrait bien être une de nos anciennes connaissances.

— Qui donc ?

— Je puis me tromper… Je n’affirme rien, n’ayant rencontré qu’une ou deux fois l’individu dont je veux parler, mais je répondrais presque sur ma propre tête que ce Sam Roberts n’est autre que…

— Que ?…

— Marcos Praya.

— L’âme damnée de la comtesse de Casa-Real ! s’écria Martial en tressaillant à son nom comme San-Lucar avait tressailli à sa vue. Marcos Praya ! répéta-t-il encore, au bout d’un instant, d’une voix profonde.

— Lui-même. Voilà pourquoi il faut absolument que je voie le capitaine… Il le reconnaîtra bien, lui !

— Ce serait une bien heureuse découverte ! reprit le colonel Martial Renaud car jusqu’à présent malheureusement, vous le savez, cher ami, nos recherches sont demeurées constamment infructueuses.

— Cette fois, mon ami, nous ne ferons pas buisson creux, je ne sais pourquoi, mais j’en ai la conviction. Ce drôle nous mettra sur la piste, je vous en réponds.

— Dieu le veuille ! San-Lucar…

Le colonel baissa tristement la tête.

— Qu’avez-vous, mon ami ? lui demanda son compagnon.

— Rien que de très ordinaire, mon ami, cette lutte nous tue.

— Courage, ami, comme toujours nous vaincrons.

— Oui, mais à quel prix, hélas !

— À votre avis, que dois-je faire ?