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Mouchette avait gagné l’affection de tous ses compagnons d’aventures.

On l’adorait.

Il était l’enfant gâté de la troupe.

On avait reconnu tant de cœur et d’intelligence sous cette frêle enveloppe ; il avait donné à ses compagnons des preuves si nombreuses de bonté, de dévouement ; on le trouvait toujours si gai, si brave, si insouciant du danger, que ni les uns ni les autres ne pouvaient plus se passer de lui. Ils se le disputaient.

La Cigale jurait que son ami Mouchette était un sorcier, et qu’il les avait ensorcelés, lui tout le premier.

Dès que les Compagnons de la Lune n’entendirent plus rien :

— À table ! dit Martial.

Chacun d’eux dégaina son couteau, fouilla dans son bissac et en retira des tortillas de maïs en guise de pain.

Le colonel, après l’avoir retiré du feu, découpa le quartier de daim, et l’on se mit à attaquer à qui mieux mieux ces larges et appétissantes tranches de venaison.

Véritable repas de chasseur, celui-là ! Frugal et arrosé d’eau claire, mélangée de quelques gouttes d’eau-de-vie.

— Avons-nous du nouveau au placer ? dit le colonel Martial Renaud tout en rebouchant sa gourde et la passant à son voisin.

— Oui, fit Rioban.

— Grave ?

— Très grave.

— Et qui se rapporte à notre affaire ? demanda San-Lucar.

— Intimement lié.

Les deux premiers hôtes de cet asile sauvage regardèrent le troisième avec anxiété.

Quel que fût leur appétit, les deux hommes cessèrent de manger.

Rioban reprit :

— Mes chers amis, en désirant rester ici quelques instants encore, vous avez deviné, n’est-ce pas, que j’avais plus d’un motif.

— C’est vrai, cher ami, dites ces motifs, nous vous écoutons.

— D’abord la faim, qui me tourmentait réellement, répondit-il en souriant.

— Après ?

— Ensuite, vous avertir de ce qui vient de se passer là-bas.

— Au placer ?

— Oui.

— Oh ! oh ! que s’est-il donc passé au placer, cher ami ? dites vite.

— Un peu de patience, de grâce. Ce matin, après avoir visité les travaux des mineurs, selon son habitude, René de Luz revenait tranquillement au rancho, c’est-à-dire au campement., lorsque à deux portées de fusil à peu près dudit rancho, à l’endroit où la route fait un coude, non loin de cet étang à l’apparence trompeuse et mortelle, que vous connaissez, il entendit tout à coup des pas de chevaux mêlés à la voix de deux hommes. René est prudent,