Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/848

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— Bientôt, vous saurez tout… mais d’abord il faut avertir mon frère.

— Ainsi, cet homme était un des émissaires de la comtesse de Casa-Real ?

— Oui, un de ses plus précieux même, , je vous le certifie.

— Joli gibier que j’ai tiré là ! grommela Mouchette se levant et frappant du pied pour se dégourdir les jambes.

— Or çà ! messieurs, reprit le colonel après avoir fermé le portefeuille et serré soigneusement les papiers qu’il contenait, maintenant que maître Mouchette a terminé son repas…

— Oui, j’ai fini…, fit le gamin d’un air placide.

— Et que rien ne nous arrête ni ne nous retient plus ici, continua le colonel Martial Renaud d’une voix sombre, nous pouvons nous remettre en route, n’est-ce pas ?

— À vos ordres.

— Seulement, comme la nuit est venue, que la lune ne s’est pas encore levée et qu’on n’y voit goutte, vous me laisserez s’il vous plaît vous servir de guide.

— À vous voir une telle certitude dans ces taillis inextricables, une pareille infaillibilité de direction dans des sentes que les bêtes fauves elles-mêmes ne doivent pas toujours reconnaître, sur mon honneur, on jurerait, mon cher colonel, dit en riant le vicomte de Rioban, que quoique Parisien vous avez toujours vécu dans les déserts et dans les forêts.

Le colonel Martial Renaud sourit avec mélancolie.

— Et vous ne vous tromperiez pas, mes amis, reprit-il ; mon enfance et une partie de ma jeunesse se sont en effet passées dans les immenses et terribles déserts de la Guyane, près desquels ceux-ci ne sont rien. Ainsi, vous pouvez avoir toute confiance en moi ; je ne vous égarerai pas. D’ailleurs, notre course ne sera pas de longue durée. Nous ne sommes, en droite ligne, qu’à deux lieues à peine du camp.

— En droite ligne, je veux bien, dit Mouchette, mais avec les détours nous pouvons en compter quatre largement.

— Nous supprimerons les détours, mon gros joufflu, dit gaiement le colonel Martial Renaud. En marche, messieurs, et autant que possible en file indienne, s’il vous plaît, c’est-à-dire les pas des uns dans les pas des autres, et surtout du silence.

— Cristi ! Seraient-ils étonnés là-bas, les amis, au boulevard Martin, dit à demi-voix l’incorrigible gamin de Paris, s’ils savaient comme je m’amuse crânement ici.

Ils se levèrent aussitôt et se mirent en route dans l’ordre que le colonel avait prescrit, et bientôt ils disparurent au milieu des buissons et des huiliers.

Mouchette fermait la marche, les mains dans les poches de sa culotte et son fusil en sautoir.