— Triste ! bien triste !… Je ne l’ai jamais vu comme ça ! dit la Cigale en se mouchant avec bruit, pour calmer sans doute sa propre tristesse. Il en est comme un fou !
Tout en répondant aux questions du vicomte, la Cigale avait trouvé moyen de donner à Filoche deux ou trois témoignages d’amitié.
René réfléchissait aux malheureuses conséquences que pouvait avoir la fâcheuse disposition d’esprit dans laquelle le capitaine rentrait au camp.
Il releva la tête.
— Pourquoi t’a-t-on envoyé en avant ?
— Parce que le capitaine veut que je parle au colonel.
— À son frère ?
— Oui.
— Il est absent…, je l’attends d’un moment à l’autre.
— Bon…, ça ne fait rien.
— Pourquoi ?
— Le cas d’absence est prévu.
— Après ?
— S’il n’y est pas…, je dois m’adresser à un autre.
— À qui ?
— À vous, monsieur le vicomte.
— Parle donc au lieu de me laisser ainsi inquiet pendant une demi-heure.
— Voilà, j’avais ma consigne, monsieur, vous savez. Fallait savoir si le colonel était au camp ? Il n’y est pas ! c’est très bien, alors, écoutez ; d’abord, continua le géant, qui faisait toujours régulièrement les choses…
— Qu’est-ce ?
— Les cinquante chasseurs vont monter immédiatement à cheval.
— Bien.
— Cinquante travailleurs seront détachés des travaux et se tiendront prêts, eux aussi, de leur à part.
— En tout cent hommes.
— Oui. Ils prendront avec eux des vivres pour quatre jours au moins ; de la poudre, des balles, et surtout de l’eau.
— Ce sera fait.
— Le capitaine m’a ordonné de vous recommander surtout, monsieur le vicomte, d’avoir bien soin de choisir les chevaux les plus solides et les hommes les plus résolus.
— Bien ! fit René.
— Des quarante hommes que nous ramenons avec la caravane, dix seulement suivront le capitaine, ajouta la Cigale.
— Et les trente autres ?
— Ils resteront à la garde du camp.
— Ensuite ?
— C’est tout.
— Alors, repose-toi.
— Quelle farce ! répliqua le géant en riant à sa façon… Me reposer !…