Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/882

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— Eh bien ! il se nomme Marcos Praya. Est-ce tout ?

— Pas encore, compagnon. Maintenant, dis-moi : que venais-tu faire à cette heure chez la comtesse de Casa-Real ?

— Caraï ! vous m’ennuyez à la fin, vous, avec toutes vos questions saugrenues qui n’ont ni queue ni tête ; me prenez-vous pour un imbécile ? Allez au diable !

Et le digne Matadoce, qui avait enfin réussi à dégainer tout doucement son couteau, bondit de côté et en même temps se précipita à l’improviste sur l’inconnu.

Celui-ci, bien qu’il fût surpris par cette brusque attaque à laquelle il était loin de s’attendre, ne se démoralisa pourtant pas.

Il se contenta simplement de lever le bras gauche afin de parer le mieux possible le coup que lui portait le bandit et étendant froidement le bras droit :

— C’est toi qui l’as voulu ! N’accuse donc que toi-même de ta mort ! dit-il. Et il lui brûla la cervelle.

Matadoce tomba comme une masse, sans jeter un cri, sans même pousser un soupir ; il avait été tué raide.

— Oh ! mon Dieu ! qu’as-tu fait, Yann ! s’écria avec douleur celui des deux inconnus qui jusque-là avait gardé le silence, pourquoi avoir tué cet homme ?

— Fallait-il donc me laisser assassiner par cette bête enragée, notre demoiselle ? répondit tranquillement le Breton, en montrant son bras, dont le sang coulait à flots.

Au bruit du coup de feu, deux serenos avancèrent craintivement la tête à l’angle de la place Mayor ; mais après quelques secondes d’examen, peu rassurés sans doute par ce qu’ils voyaient, ils la retirèrent vivement sans oser se risquer davantage.

Yann Mareck les aperçut.

— Venez, n’ayez pas peur, leur cria-t-il résolument.

Les serenos semblèrent se consulter un instant à voix basse, mais après réflexion ils ne bougèrent pas.

— Venez donc, caraï ! reprit-il ; êtes-vous sourds ou imbéciles ? Je veux vous faire gagner de l’argent.

Ce mot magique décida enfin les deux serenos ; ils quittèrent leur embuscade et s’approchèrent lentement.

— Vous n’avez pas l’intention de nous faire mal, Seigneurie ? demanda l’un d’eux en s’arrêtant à distance respectueuse.

— Eh non ! au contraire.

Sur cette assurance, ils se risquèrent enfin à s’approcher tout à fait.

— Mon ami et moi, ainsi que vous avez pu le remarquer, dit effrontément le Breton, nous avons été arrêtés à l’improviste par cet homme ; il nous a demandé notre argent et il en voulait sans doute à notre vie : j’ai reçu de lui un coup de couteau, voyez !

— Jésus ! José ! Maria ! s’écrièrent avec une feinte compassion les deux serenos en se signant dévotement.

Les dignes gardiens de la tranquillité publique avaient parfaitement vu et, qui plus est, entendu tout ce qui s’était passé ; mais, comme ils flairaient une