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— Voyons avant tout votre blessure ; peut-être est-elle grave, mon pauvre Yann ? Laissez-moi l’examiner.

— Ce n’est qu’une simple déchirure, not’ demoiselle, ce n’est pas la peine d’y penser ; demain il n’y paraîtra plus. Le gueux avait peur, le couteau a tourné dans sa main. Bonsoir !

— Bonsoir ! Yann.

Le Breton sortit.

Après avoir tant bien que mal pansé son bras avec une chemise qu’il déchira à cet effet, au lieu de rester dans sa chambre, comme un bon et fidèle serviteur qu’il était, Yann Mareck s’assit, le dos appuyé contre la porte de Mlle Edmée de l’Estang, et il dormit ainsi jusqu’au matin, la main sur ses armes.


X

COMMENT ON PEUT DEVENIR « ARRIERO » SANS Y PENSER

Contre toutes prévisions, rien ne bougea dans la posada, et la nuit tout entière se passa tranquillement.

Cependant vers quatre heures du matin, Yann Mareck fut brusquement réveillé par un choc violent.

C’était un quidam qui, en traversant le corridor dans l’obscurité, venait de trébucher tout à coup dans ses jambes, avait failli tomber et qui s’éloignait en grommelant.

Le Breton crut même entendre cet individu, tout en s’en allant, prononcer entre ses dents le mot : imbécile !

Cependant, comme Yann Mareck n’était nullement susceptible, surtout fort prudent de sa nature, au contraire, il ne se formalisa point de cette épithète peut-être un peu mal sonnante, se tint coi et laissa, sans répondre, le grommeleur s’éloigner paisiblement.

Puis, après avoir attendu quelques minutes, en prêtant attentivement l’oreille, convaincu, enfin, que l’inconnu était sorti de l’auberge, le Breton se leva, s’étira pour rétablir la circulation du sang dans ses membres engourdis, et il quitta la posada à son tour.

Il lui était venu un soupçon qu’il désirait éclaircir.

Ainsi qu’il l’avait prévu, le Breton n’eut pas besoin d’aller bien loin pour s’assurer de ce qu’il voulait savoir.

En débouchant du Callejon de las Viudas et, en arrivant sur la plaza Mayor, il aperçut une dizaine de mules chargées, arrêtées devant la maison de la comtesse de Casa-Real.

Les arrieros, selon leur coutume, menaient grand train : ils allaient et venaient, en gourmandant leurs mules, qui s’écartaient sans cesse, et en causant, riant et caquetant entre eux avec cette vivacité, cette animation joyeuse