Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/888

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— L’arriero sourit avec satisfaction.

— Et vous, señor, serait-il indiscret de vous demander votre nom ? — Nullement, caballero : je me nomme Pacheco Sandras Cabrecillo pour vous servir si j’en étais capable, et mon jeune frère, dont j’ai eu l’honneur de vous parler tout à l’heure, Santiago ; maintenant vous connaissez toute la famille, nos parents sont morts.

L’arriero mayor salua avec un air de condoléance.

— À votre santé ! dit-il en portant son verre à ses lèvres.

— À la vôtre, répondit poliment Yann Mareck en imitant son mouvement.

— Eh, mais j’y pense, reprit-il au bout d’un instant, caraï, je ne sais pourquoi, caballero ; mais, sur mon âme, vous m’intéressez : votre honnête figure me revient.

— Pas autant que me revient la vôtre, señor. Bien que je ne vous connaisse que depuis quelques minutes à peine, je vous considère déjà presque comme un ami.

— Merci, touchez-là, señor, vous êtes un buen muchacho.

— C’est ce qu’on dit.

— Je l’affirme. Eh bien ! je crois en y réfléchissant qu’il y a peut-être un moyen d’arranger les choses.

Le rusé Breton dissimula soigneusement la joie que ces paroles de l’arriero mayor lui faisaient éprouver.

— Vous croyez, señor ? Pour ma part, je vous avoue que je n’en vois pas, dit-il avec une feinte indifférence.

— Peut-être, amigo. Mais voyons, là franchement entre nous, êtes-vous ce qu’on appelle hombre de a caballo ?

— Hum ! c’est mal de se vanter soi-même ; cependant je puis vous dire en toute conscience que je passe pour un des meilleurs ginettes de toute la basse et la haute Californie, répondit modestement le Breton, qui, en réalité, était excellent cavalier.

— Et votre frère Santiago ?

— Il promet ; je le forme, dame ! Il ne va pas mal du tout, pour sûr ! bien que pourtant il soit très jeune encore.

— Quel âge a-t-il ?

— Environ quatorze ans.

— Et il sait bien lancer le lasso et manier un mustang ?

— Caraï ! je le crois bien ! Il ne serait pas mon frère sans cela.

— C’est juste ! Eh bien ! puisqu’il en est ainsi, caballero, tout est arrangé entre nous, je vous emmène, ainsi que votre frère.

— Bien vrai ?

— Dame ! Écoutez donc, cela vous regarde après tout ; voyez ce que vous voulez faire. Il ne tient qu’à vous seul.

— Oh ! alors…, c’est fait !

— Et de plus, señor, non seulement sans qu’il vous en coûte un réal, mais encore je vous compterai, à votre frère et à vous, chacun vingt piastres, si je suis content de vous en arrivant à San-Francisco.

— Chacun vingt piastres ! C’est magnifique, caballero : je suis confus de