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de notre édifice. Je veille et je travaille pour vous. Messieurs, je vous attends le premier jour du mois de juillet prochain à Amsterdam, où doit avoir lieu notre assemblée générale.

« Avant de vous quitter, laissez-moi vous faire part d’une découverte dont notre association profitera largement. Dans une contrée sauvage, presque ignorée, l’un des nôtres vient de mettre la main sur des gisements aurifères d’une valeur incalculable. Il ne m’est point permis, en ce moment, de vous les désigner plus clairement. Mais, sachez-le, nous avons devant nous six ou huit grands mois, pendant lesquels nous exploiterons ce placer sans concurrents, sans rivaux. Les richesses immenses qui chaque jour entreront dans notre caisse, assureront le succès de notre glorieuse entreprise.

De chaleureux applaudissements interrompirent l’orateur à cette révélation inattendue, tant est forte, même sur les cœurs les plus dévoués, les plus désintéressés, la fascination de ce mot magique : l’or ! tant est grande l’attraction de la fortune, même sur les classes les plus privilégiées !

— Hélas ! reprit l’Invisible avec une sorte de mélancolie prophétique, cette découverte à laquelle vous applaudissez changera peut-être la face du monde. Cet or, si longtemps enfoui dans les entrailles de la terre, tout à coup répandu avec profusion, peut occasionner le débordement de toutes les passions mauvaises de l’homme. Qui sait s’il n’augmentera pas dans des proportions effrayantes la désorganisation sociale ? N’applaudissez pas, messieurs ; je vois toutes les convoitises en éveil ! Voici que le xixe siècle et ses chercheurs d’or renouvelleront l’ère des féroces aventuriers du xve siècle !

« Dieu veuille que je me trompe ! Dieu veuille que la société, penchée sur l’abîme, ne soit pas prise de vertige et ne sombre pas sous l’influence de ce métal odieux, cause de tous les maux qui nous affligent !

« Quant à nous, nous resterons purs de tout excès. Le but que nous nous proposons est trop beau, pour que nos yeux s’en détournent un seul instant. L’or ne doit être qu’un moyen, un instrument entre nos mains, il ne sera jamais pour nous un motif de joie ni d’orgueil.

« Donc, continuez à agir, ainsi que vous avez agi jusqu’à ce jour. Champions ignorés du droit, vengeurs des opprimés, défenseurs occultes des faibles, continuez votre tâche sans scrupules, sans réticences, sans craintes mesquines.

« Tous vos actes me sont connus. Je les approuve tous. Je vous félicite. Navigateurs habiles et intrépides, vous ne désespérez pas quand le navire fait eau, quand la foudre tonne sur vos têtes. Croyez-moi. Persévérez ; l’orage passera, la foudre se taira, les voies d’eau, seront aveuglées et vous arriverez triomphants au port, où la gloire, où la liberté vous attendent.

Ici, la musique lointaine du bal, un moment interrompue, reprit avec une vigueur nouvelle.

Le Maître s’arrêta.

Puis, semblable à la statue de l’Attention, le haut du corps penché en avant, l’oreille tendue, il écouta.

Un bruit, léger comme la respiration d’un oiseau-mouche, se fit entendre. Quelqu’un venait d’appuyer son doigt contre la cloison.