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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/890

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— À vos ordres, répondit le Breton, en payant la consommation.

Ils sortirent.

L’arriero se mit en selle.

— Où est votre cheval ? dit-il.

— À dix pas d’ici, dans la posada où j’habite avec mon frère.

— Justement, c’est notre chemin.

Ils se mirent en route.

— Il est donc bien riche, ce señor qui vous a loué ? demanda au bout d’un instant le Breton, pour dire quelque chose.

— Il paraît ; l’or coule comme de l’eau entre ses doigts.

— Eh mais ! dites donc, nô Benito, s’écria tout à coup Yann Mareck en s’arrêtant au milieu de la place d’un air décontenancé, je pense à une chose, moi.

— Laquelle ?

— Croyez-vous, señor, que cela ne le contrariera pas, ce noble caballero, que vous m’ayez engagé ainsi ce matin, et sans le prévenir, à son service ?

— D’abord, amigo, je vous ferai observer, entre nous, que vous n’êtes pas du tout engagé à son service, mais au mien, ce qui n’est pas du tout la même chose.

— C’est vrai, au fait ; je n’avais pas songé à cela, il n’a rien à y voir.

— Pas la moindre des choses, continua l’arriero mayor, ensuite il est plus que probable qu’il ne s’apercevra même pas de votre présence parmi nous, présence dont, soit dit sans vous fâcher, il doit se soucier médiocrement. Et puis, en fin de compte, comme, à cause de vos occupations, vous serez toujours, soit en avant, soit en arrière de la caravane, il est à peu près certain que vous ne vous trouverez pas, à moins d’un hasard extraordinaire, une seule fois en face l’un de l’autre d’ici à San-Francisco.

— Vous avez mille fois raison, señor don Benito. Et il reprit allègrement sa route ; au bout d’un instant, ils atteignirent la posada.

— C’est ici, señor, dit le Breton. Arrêtez, je vous prie ; dans un instant, je suis à vous.

— Faites, faites ; ne vous gênez pas, nous avons le temps.

Et pendant que le Breton entrait tout joyeux dans la posada, l’arriero mayor tordit gravement une fine cigarette de paille de maïs qu’il alluma au moyen de son mechero, instrument dont les Mexicains, les plus enragés fumeurs qu’il soit au monde, ne se séparent jamais sous aucun prétexte.

Cependant Yann Mareck ne perdit pas une seconde pour se rendre auprès de sa jeune maîtresse.

Mlle Edmée de l’Estang était éveillée, habillée, et toute prête à sortir.

Elle n’attendait que le retour de Yann Mareck pour quitter la posada.

Ainsi que l’avait dit le Breton à l’arriero mayor, elle avait l’air d’un jeune garçon de treize à quatorze ans.

Le fidèle Yann Mareck lui rapporta en deux mots, car il n’avait pas un instant à perdre, ce qui s’était passé entre lui et le Mexicain, et de quelle façon il avait trouvé le moyen de se joindre à la caravane.

La jeune fille sauta littéralement de joie à cette nouvelle.