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Le lasso passa par-dessus la branche et son extrémité retomba de l’autre côté.

La pierre sur laquelle on avait assis le métis se trouvait au pied même de l’arbre.

Marcos Praya fumait toujours avec un sang-froid imperturbable.

Filoche amena l’extrémité du lasso à lui et il passa silencieusement le nœud coulant autour du cou du condamné, qui ne sembla même pas s’en apercevoir ; puis, retirant de dessous sa selle une large pancarte préparée à l’avance, il la lui attacha sur la poitrine.

La pancarte portait cette mention en anglais, en français et en espagnol :


MARCOS PRAYA, VOLEUR ET ASSASSIN.


— C’est fait, capitaine, dit ensuite Filoche en se redressant.

Le métis leva la tête, et jetant un long et triste regard sur la comtesse, qui le fixait avec égarement :

— Pauvre Hermosa, murmura-t-il, que deviendra-t-elle maintenant qu’elle ne m’aura plus près d’elle pour la défendre et la servir ?

Et il poussa un douloureux soupir.

Ce fut tout.

Ces quelques paroles résumaient la vie entière de cet homme, vie tout entière de dévouement et d’abnégation : il n’avait vécu que pour elle ; pour elle il allait mourir et à sa dernière seconde il ne songeait pas à lui, mais à sa maîtresse, et il la plaignait de rester seule et privée de son dévoué défenseur.

— Hisse ! commanda le capitaine d’une voix sourde.

Les sept hommes s’étaient silencieusement rangés en demi-cercle devant l’arbre, pour assistera l’œuvre de justice.

Filoche hissa.

— Que Dieu te pardonne tes crimes ! dirent les juges d’une seule voix.

Un sourire de dédain railleur plissa les lèvres blêmies du métis, qui lança une dernière bouffée de tabac vers le ciel et laissa nonchalamment tomber son cigare.

Tout à coup ce sourire s’effaça, son regard lança un fulgurant éclair et son visage prit une expression de rage impossible à rendre.

Un cavalier venait d’entrer au galop dans la clairière.

En s’apercevant de ce qui se passait, ce cavalier s’était brusquement jeté à bas de son cheval, et sans adresser la parole à personne, tout courant, il venait aider Filoche à hisser le misérable Marcos Praya.

— Yann Mareck ! s’écria le capitaine avec une surprise joyeuse.

C’était en effet le brave Breton.

Lorsque le condamné fut hissé jusqu’à la hauteur de la branche, Filoche amarra froidement le lasso à la pierre même qui avait précédemment servi de siège au pauvre diable.

L’agonie du métis fut courte : elle dura à peine deux minutes.

La comtesse Hermosa de Casa-Real, toujours sombre et absorbée en elle-même, y assistait sans même la voir.