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— Surtout de ceux-là.

— Vous êtes dans le vrai, comte, fit le secrétaire avec une gracieuse inclinaison de tête ; mais si vous rencontrez des ingrats qui vous haïssent, ou des envieux qui vous jalousent, vous rencontrerez aussi des natures loyales qui vous apprécieront et des mains ouvertes qui se tendront vers vous.

— Puissiez-vous dire vrai !

— À partir d’aujourd’hui, mon cher comte, dès ce moment, comptez-moi, je vous prie, au nombre de vos amis.

— Je vous compterai volontiers au nombre de mes amis, répondit finement le comte de Warrens, mais, mon cher monsieur, je vous en préviens, je ne compte jamais sur mes amis.

— Je vous prouverai un jour ou l’autre que le mot amitié n’est pas un mot creux pour moi.

Et le secrétaire tendit sa main au comte.

Le comte la prit.

Cette étreinte chaleureuse était-elle franche, était-elle fausse ?

L’avenir nous répondra.

Toujours est-il que, pour le moment, ces deux hommes, dont l’un conspirait la perte de l’autre, il n’y avait pas encore une demi-heure, se donnaient un témoignage d’estime et d’amitié incontestables.

— Vous excuserez, mon cher comte, ajouta le secrétaire du préfet, qui tenait toujours la main de son interlocuteur entre les deux siennes, vous excuserez les maladresses, les procédés blessants dont moi et les miens nous avons usé envers vous, et cela à diverses reprises.

— Je m’en suis à peine aperçu.

— J’étais contraint d’agir ainsi. Des ordres supérieurs me prescrivaient cette rigidité.

— Mais aujourd’hui ?

— Mais, à partir d’aujourd’hui, ma consigne une fois remplie, je redeviens maître de ma conduite et de mes actes. J’ai acquis cette nuit la certitude évidente que tous les rapports faits contre vous étaient faux.

— Des rapports… politiques ?

— Ne cherchez pas à savoir…

— De simple police ?

— Non, je rougis de l’erreur de mes agents. Vous ne vous figurez pas les calomnies indignes dont vous avez manqué devenir la victime. Que des conspirateurs, des ennemis du gouvernement se réunissent chez vous, j’en doute, je le nierai au besoin, sans en mettre ma main au feu. Mais que vous-même…

— Moi, conspirer ! Eh ! mon Dieu, contre qui, et pourquoi faire ? Dans quel intérêt ?

— Ne vous défendez pas ; c’est inutile. Seulement, si quelque jour, pour quelque raison que ce soit, vous avez besoin d’un défenseur, d’un allié, appelez-moi, je ne ferai pas faute.

— Merci, monsieur, je ne ferai jamais fi de l’estime d’un homme tel que vous.