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Après s’être serré une dernière fois la main, le comte de Warrens et le secrétaire du préfet rentrèrent dans les salons du bal.

C’était l’heure du souper.

Les danses avaient cessé.

Toutes les dames assises autour de trois ou quatre immenses tables en fer à cheval, formaient d’adorables corbeilles de fleurs et de diamants.

Les hommes attendaient ou servaient celles d’entre elles qui les appelaient.

Le comte, qui venait de jeter un coup d’œil de maître sur toutes les tables, se retournait pour dire à son nouvel ami :

— Vous nous restez à souper ?

Il aperçut le secrétaire faisant un signe à un certain nombre de masques mystérieux, qui disparurent aussitôt comme une troupe de noirs corbeaux.

Ces masques étaient des agents de la police secrète du royaume, chargés de prêter main-forte au secrétaire du préfet.

Le comte renouvela son invitation. Le secrétaire accepta.

— Mais, ajouta-t-il, si je soupe chez vous cette nuit, vous dînerez chez moi ce soir, pour cimenter notre nouvelle amitié.

— Soit, répondit en souriant le comte de Warrens, mais je viendrai seul.

Ce fut là sa seule vengeance.


VIII

OÙ LE LECTEUR FAIT CONNAISSANCE AVEC MOUCHETTE

On démolit aujourd’hui la Cité, cet antique berceau de Paris, dont chaque pavé a sa légende, chaque pan de mur son histoire comique ou tragique.

Parmi les rues démolies figure la rue de la Calandre.

Cette rue, l’une des plus anciennes voies de la Cité, remontait à l’occupation romaine.

L’origine même de son nom est une énigme.

Les uns l’attribuent aux ouvriers calandreurs qui l’habitaient et la peuplaient, d’autres à une famille de la Kalendre qui, la première, s’y serait installée.

Les curieux, que ces deux explications ne satisfaisaient pas, avaient fini par découvrir une vieille enseigne de la Calandre, cachée sous une couche de peinture et sous deux couches de vétusté.

On s’en était tenu là, et, après tout, cette dernière origine valait autant, sinon mieux, que les deux précédentes.

En somme, ignorants et érudits se sont vus tout naïvement contraints d’avouer leur impuissance à ce sujet.

La rue de la Calandre commençait rue de la Cité et finissait rue de la Barillerie.