Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/98

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Bien qu’étroite, sale, tortueuse, elle était jadis très fréquentée.

Elle a vu de nombreuses entrées royales, et grâce à sa situation centrale dans la Cité, on célébra peu de cérémonies publiques dont elle ne prît sa part.

Ainsi, en 1420, à l’entrée de Henry V, roi d’Angleterre, « fust faict en la rue de la Calandre, lit-on dans une chronique du xve siècle, un moult piteux mystère de la Passion au vif ».

À l’époque où se passe notre action, les splendeurs civiles de cette tant vieille rue n’existaient plus depuis longtemps qu’à l’état légendaire.

Complètement déchue, même dans l’estime du peuple des faubourgs, elle n’était plus hantée que par la classe la plus infime de la population.

Elle servait de refuge à ces innombrables métiers interlopes dont les titulaires pullulent sur le pavé des grandes villes et le salissent comme de honteuses verrues.

Logeurs à la nuit, cabaretiers de bas étage des tapis-francs, finissaient toujours par y faire une fortune amassée sou à sou, le plus malhonnêtement du monde.

Le no 10 de la rue de la Calandre, où, d’après une tradition très accréditée, naquit, au ive siècle, saint Marcel, évêque de Paris et bourgeois du Paradis, vieille masure, sombre, étique, tremblant au moindre vent, menaçant ruine et suintant la misère, était habité par un certain nombre de ménages plus ou moins morganatiques.

Chanteurs ambulants, tireuses de cartes, forçats libérés ou en rupture de ban, porteurs d’eau et marchands des quatre-saisons formaient la clientèle assidue du cabaret borgne, ou plutôt du cabaret louche qui en occupait le rez-de-chaussée.

À la tombée de la nuit, tout ce monde gangrené venait y boire, y manger, y jouer et souvent s’y battre.

Ce n’était pas précisément un phalanstère, quoique, de loin, un appréciateur peu scrupuleux eût pu s’y tromper, en regardant cet immonde ramassis par le gros bout de sa lorgnette.

On pénétrait dans cette maison par une allée noire, fangeuse, remplie à toutes heures du jour d’émanations fétides.

Au bout de l’allée, dans l’ombre, se dessinait vaguement la première marche d’un escalier en tout semblable à celui dont parle Mathurin Régnier dans une de ses plus mordantes satires.

Une corde à puits, fixée au mur visqueux, servait tant bien que mal de rampe à cette échelle, moins riche en perspective et en horizons azurés que ne l’était l’échelle de Jacob.

Grimpons le plus promptement possible cinq étages éclairés par deux malheureux petits jours de souffrance, et pénétrons dans le logement situé au cinquième de cette triste maison.

Deux pièces le composaient, si de ce nom il est permis d’appeler deux réduits infects séparés par une mince cloison en planches disjointes, sur laquelle se jouaient en arabesques capricieuses les restes d’un vieux papier à fleurs jaunes.