Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/103

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— Ah ! ma foi, commandant, c’est bien simple !

Le digne capitaine adorait cette locution qu’il avait toujours à la bouche.

— Tout est simple pour vous, capitaine, vous allez me donner votre moyen, n’est-ce pas ?

— Je ne demande pas mieux, si cela peut vous être agréable.

— Parlez ! parlez !

— Vous saurez donc qu’une nuit, dix jours après avoir quitté Port-Margot, nous errions un peu à l’aventure ; lorsque, vers deux heures du matin, par un temps assez sombre, ma pirogue se trouva à l’improviste dans les eaux de ce vaisseau. La mer était comme de l’huile, il n’y avait pas de vent pour souffler une chandelle. Le vaisseau roulait lourdement ; ses voiles pendaient inertes le long des mâts. Une pensée traversa mon esprit : les gavachos sont paresseux et dormeurs ; on n’entendait pas le moindre bruit à bord. Je dis quelques mots à mes camarades ; ce sont des gaillards intelligents, ils me comprirent. La voile de la pirogue fut amenée en douceur, les avirons garnis au portage et je m’avançai sans bruit sous l’arrière du vaisseau. En un clin d’œil, vingt-trois de nous autres escaladaient les galeries ; j’avais laissé deux hommes pour garder la pirogue. Mon calcul était juste. Mes paresseux de gavachos dormaient comme des loirs ; les officiers et le capitaine furent égorgés, avant d’avoir le temps de s’éveiller. Cela fait, je montai sur le pont ; les gens de quart dormaient aussi. Je fis fermer les écoutilles, et, après avoir jeté à la mer l’officier et l’homme placé à la barre, je poussai le cri de guerre de la flibuste, en tombant à coups de hache sur les dormeurs. Les pauvres diables surpris à l’improviste et croyant avoir affaire à une légion de démons, se rendirent sans coup férir, et se laissèrent désarmer.

— Mais, dit le commandant vivement intéressé, la moitié de l’équipage se trouvait encore sous les ponts ?

— Oui, et ils commençaient à s’éveiller et à hurler à qui mieux mieux. Heureusement pour nous, ils igno-