Page:Aimard - Les rois de l'océan, 1 (L'Olonnais).djvu/270

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le célèbre flibustier eut maintes fois relâché dans presque tous les ports de Saint-Domingue.

Les deux hommes marchèrent ainsi pendant plus d’une heure, côte à côte, sans échanger une parole.

Chacun d’eux sans doute, s’entretenait avec ses propres pensées.

D’ailleurs, les ténèbres, le silence des bois, le murmure contenu du vent à travers les branches des arbres, portent avec eux un sentiment de tristesse mystérieuse, qui pousse l’âme au recueillement ; la nature primesautière, vierge encore de la cognée ou de la hache de l’homme, possède un inexplicable prestige, dont malgré elles, les imaginations les plus vives, les organisations les plus énergiques, sont émues, impressionnées et poussées à la rêverie.

Cependant les étoiles s’éteignaient les unes après les autres, dans les vastes profondeurs du ciel ; de larges bandes nacrées commençaient à rayer l’extrême limite de l’horizon ; l’obscurité devenait moins intense ; elle se décomposait peu à peu, et prenait des teintes blafardes estompées d’une brume grisâtre, permettant de distinguer vaguement encore, à la vérité, les divers accidents du paysage ; ce n’était déjà plus la nuit, bien que ce ne fût pas encore le jour ; on entendait des piétinements dans les halliers, des frémissements d’aile sous la feuillée ; le soleil n’allait pas tarder à paraître et à rendre la vie à cette nature assoupie s’éveillant sous l’influence de son apparition prochaine.

Les voyageurs traversaient alors une vaste savane, où leurs regards pouvaient plonger à de grandes distances dans toutes les directions.

— Approchons-nous ? demanda Bothwell.

— Dans une demi-heure, nous serons rendus ; êtes-vous fatigué, capitaine ?

— Moi ? pas le moins du monde.

— Alors nous continuons ?

— Pardieu !

Ils reprirent leur marche, un instant interrompue,