pendant deux ou trois minutes, puis sur un geste muet de Bothwell, le Chat-Tigre prit la parole :
Le fourré, au milieu du quel était blotti Vent-en-Panne, se trouvait si rapproché de la caverne, que le flibustier ne perdit pas un mot de cet entretien, dont bientôt toute l’importance lui fut révélée.
— Señor don Antonio Coronel, dit le Chat-Tigre, je regrette vivement que vous arriviez si tard au rendez-vous, indiqué par vous-même ; la distance n’est pas tellement grande il me semble de San Juan de la Maguana à ici, pour que vous vous soyez fait si longtemps attendre.
— Señor Francès, répondit avec hauteur celui des espagnols qui paraissait être le chef des autres, vous m’adressez je crois un reproche ; si telle est votre intention, je le regrette d’autant plus vivement pour vous, caballero, que je ne vous reconnais en aucune façon le droit de vous poser ainsi vis-à-vis de moi ; afin que vous n’en ignoriez, et pour couper court à toute velléité nouvelle de votre part, je vous apprendrai que je suis Christiano Viejo, hidalgo de la vieille Castille, sans mélange de sang maure dans mes veines ; que de plus je suis gouverneur de cette ville de San Juan, et qu’en cette qualité, je ne reconnais d’autre supérieur, que le señor conde de la Cerda, gouverneur général de l’île de Santo Domingo, et sa majesté le roi Charles II, que Dieu garde !
— Cordieu ! répondit le Chat-Tigre en s’inclinant ironiquement devant le hautain gentilhomme ; j’aurai garde, croyez-le bien señor, d’oublier à quel puissant seigneur j’ai affaire ; il n’y a pas à plaisanter avec vous autres Espagnols, sur les questions nobiliaires. Tudieu ! comme pour un mot échappé par mégarde, vous rabrouez les gens ; merci, señor, la leçon me profitera ?
— Brisons là, s’il vous plaît, señor Francès, reprit don Antonio avec hauteur ; si l’entretien devait continuer plus longtemps sur ce ton, je me verrais à mon grand regret contraint à me retirer.