C’était une espèce de demi-galère portant cent-vingt hommes d’équipage et une chiourme de quarante avirons. Quatre pierriers en batterie étaient à son arrière, et un canon de neuf pieds de long et de six livres de balles, était braqué à son avant. La profondeur de cette pirogue était de cinq pieds et sa légèreté telle, qu’elle ne tirait pas plus d’un pied et demi d’eau ; elle pouvait ainsi remonter les rivières jusqu’à une certaine hauteur.
Celle dont nous nous occupons, nommée le San Juan de Dios avait deux mâts portant des voiles latines ; mais en ce moment ces mâts étaient couchés sur des chandeliers, c’est-à-dire sur de longues fourches de fer, plantées au milieu du bâtiment.
Le San Juan de Dios avait quitté la Havane un peu avant le lever du soleil, mais aussitôt au large le capitaine l’avait fait démâter, les avirons avaient été garnis aux portants et on ne s’était plus avancé qu’à la rame.
Au moment où nous reprenons notre récit, excepté le capitaine qui, une longue-vue de nuit à la main, semblait interroger anxieusement la pleine mer et se promenait avec agitation à l’arrière, la vigie placée près du canon de chasse, et le matelot qui tenait le gouvernail, tout l’équipage semblait dormir, sauf bien entendu la chiourme qui, excitée par les comités, manœuvrait machinalement le bâtiment.
Cette chiourme était entièrement composée d’esclaves caraïbes ; pauvres misérables Indiens que les Espagnols traitaient avec une dureté extrême, et dont l’esclavage était cent fois plus dur que celui que les musulmans imposaient aux chrétiens, quand ils tombaient entre leurs mains.
Cependant près du panneau de l’arrière, et à demi-dissimulés au milieu d’un fouillis de voiles, deux hommes assis l’un à côté de l’autre et le dos appuyé contre une embarcation légère, le seul canot que possédât la pirogue, causaient entre eux à voix basse avec une certaine animation.