Particularité singulière, et qui mérite d’être notée, ces deux hommes portaient le costume des aventuriers de la Tortue ; costume que nous aurons l’occasion de décrire bientôt ; et de plus la langue qu’ils employaient, était la langue française.
Ces deux hommes semblaient tous deux avoir dépassé la quarantaine de cinq ou six ans ; ils avaient les traits durs, hautains, la physionomie farouche et le regard sombre.
La présence de deux aventuriers, ces ennemis implacables de la race castillane, à bord d’un navire espagnol pouvait sembler d’autant plus extraordinaire que ces individus paraissaient être libres et avaient conservé leurs armes ; c’est à-dire leur long fusil de boucaniers et leur gaine en peau de crocodile, contenant trois couteaux et une bayonnette.
À la suite de quels événements se trouvaient-ils à bord du San Juan de Dios ? C’était ce que nul à bord, sinon le capitaine, n’aurait pu dire.
Au moment où la cloche piqua les deux coups doubles qui signifient deux heures, les aventuriers se levèrent, s’étirèrent les bras comme pour se dégourdir les membres et allèrent nonchalamment s’appuyer sur la lisse de la pirogue.
— Une belle mer, dit l’un.
— Et une nuit {{{2}}}, répondit l’autre.
— Combien de fois, reprit le premier, pendant les nuits étoilées de la Méditerranée, alors que je ramais dans la chiourme de Diemil Hadji Aga, j’ai maudit la vie et désiré la mort !
— Oui, fit le second ; parce que alors tu étais esclave, sans probabilité de rachat.
— Et sans espoir de me venger un jour ! interrompit vivement le premier. Mais aujourd’hui tout est changé pour nous. Tu es venu à mon secours, Chanteperdrix ; tu m’as racheté à mon maître ; je suis libre, et bientôt celui que nous poursuivons depuis si longtemps sera en notre pouvoir. Alors…