Page:Aimard - Par mer et par terre : le batard.djvu/255

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vos yeux, probablement, avec les constants exemples que j’aurais eus devant les yeux, j’aurais porté avec autant d’orgueil qu’un autre ces titres que je répudie aujourd’hui. Il est trop tard, mon père. J’ai trente-deux ans, je suis homme fait : il ne me sera plus possible de modifier mon caractère, ni de changer mes opinions ; elles sont d’autant plus profondément gravées dans mon cœur, qu’elles l’ont été par le fer rouge de la misère et de la douleur ; et, vous le savez, mon père, quoi qu’on fasse, les impressions bonnes ou mauvaises de la première jeunesse ne s’effacent jamais.

— Mon fils, répondit le duc d’une voix douce, je ne discuterai pas avec vous ; vous m’avez parlé avec franchise, sans détours, en honnête homme, je vous en remercie ; il y a beaucoup de vrai dans ce que vous m’avez dit, à côté de grandes exagérations. Il ne s’agit pas ici seulement de vous, mais surtout de l’honneur de notre nom, menacé de s’éteindre, faute d’héritier mâle ; ce que j’exige de vous, c’est un sacrifice, une abnégation complète de vos goûts et de vos aspirations. Vous voyez que je vous parle franchement, moi aussi ; je dirai plus, c’est une grâce que je vous supplie de m’accorder, pour qu’un peu de calme rentre dans mon cœur, et qu’un faible rayon de bonheur illumine mes derniers jours.

— C’en est assez, mon père, vous n’avez à attendre de moi que respect et obéissance, tous mes efforts tendront à vous satisfaire, je vous le jure. Tant que Dieu vous conservera à mon amour, mon père, vous n’aurez pas à m’adresser un seul reproche.

— Mais, après ? dit-il avec un sourire contraint.