Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déserts de sable. On ne pense jamais assez que la nature est inhabitable, par l’envahissement végétal. Le défrichement est donc la lutte naturelle, et la forêt repousse l’homme. C’est pourquoi le vivant, biche ou chasseur, n’y paraît que par surprise. Et encore, par ces écrans de feuilles et de troncs, tout ce qui s’y montre en mouvement est apparition. On reste devant des surfaces qui ne disent mot, à se demander si l’on a rêvé. L’expérience est toute de souvenir ; ce n’est qu’un récit dans le moment. La chose réelle nous défie par l’ordinaire. L’attention ne peut faire revue. La revue est toute notre science. L’horreur des bois est donc physiologique. Et le bois sacré des Muses n’est qu’un jardin. Le sacré est bien plus près de nous que le respect et même la crainte. Le sacré n’a point d’objet, ou bien n’en a plus. Le sacré c’est le contraste entre ce que l’on attend et ce que l’on voit. Le prodige, c’est l’arbre qui n’est qu’arbre et la forêt qui n’est que forêt.