Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/228

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raison. Sur mer les dangers sont évidents, et de prompt effet ; les actions sont aisément jugées, et le temps de la délibération est enlevé. D’où il arrive que le pouvoir sur mer est librement reconnu ; le meilleur dirige ; et, par la réunion des exécutants autour du chef, il n’y a pas non plus de favoris, ni d’abus, ni de tyrannie. La révolte est si facile alors qu’elle n’a plus lieu ; la seule présence agit assez. Il ne se peut pas que cette existence active, toujours tordue par le flot, et à chaque instant sauvée, n’éclaire pas l’esprit d’une certaine façon. On supposerait, d’après toutes ces conditions, qui concordent, que l’esprit marin est plus cynique et moins inquiet que l’esprit continental, et, en somme, qu’il n’y a guère de divinités marines qui ne soient descendues des bois et des fleuves. Ulysse nageant en mer ne se fie qu’à lui-même ; c’est dans l’estuaire qu’il fait sa prière au fleuve. Cette vue sommaire ne suffit pas ; il faudrait suivre la parenté des