Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/18

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penser. Si les luttes politiques s’y accordent, voilà une nation coupée en deux.

Sans compter que les luttes politiques elles-mêmes dépendent des mêmes lois ; l’imagination y fait la folle, et bientôt la méchante ; et l’ardeur des batailles ne dépend point seulement des intérêts. Si chaque parti avait son costume, nous serions condamnés à la guerre civile. Supposez une différence de langue, ou seulement d’accent, et quelques ambitieux fouettant les passions, ce sera une politique de fous. La paix par elle-même, sans autre expédient, supprimerait presque toutes les causes de conflits, surtout parce qu’au lieu de chercher à exercer le pouvoir, chacun travaillerait contre les abus du pouvoir ; ainsi s’organisera toute République, d’où l’on voit que le droit des races à se gouverner elles-mêmes est, de toutes les manières, directement contraire à la paix.

Par cette remarque, nous voilà ramenés à considérer ces peuples alliés et ces peuples ennemis, d’après les mêmes idées, qui trouvent alors leur pleine application. Et puisque la haine nourrit la haine, et la colère la colère, et la guerre la guerre, tout ce que l’on dit des intérêts inconciliables est à côté de la question. C’est comme si l’on disait que des plaideurs sont ennemis par les intérêts contraires ; mais ils sont ennemis parce qu’ils plaident, parce que les fatigues, les soucis, les dépenses de chacun sont inscrites au compte de l’autre. Chacun sait bien que celui qui plaide contre moi ne peut avoir le nez bien fait. Telle est bien notre situation après ce ruineux et sanglant procès entre deux peuples. Une passion, disait Spinoza, cesse d’être une passion dès que nous en connaissons adéquatement les causes.