Page:Albalat - Le Mal d’écrire et le roman contemporain.djvu/242

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apporté en naissant deux traits essentiels d’atavisme : une sensibilité prodigieuse et un goût d’ennui sombre que la solitude du vieux manoir développa dans l’étouffement de ses grands murs à créneaux. Qu’on se figure le désœuvrement de ce garçon, fou d’imagination et de puberté, sentant bouillonner son tempérament et son âme, vivant pour ainsi dire avec les arbres et les plantes, écoutant les bruits des « bois infréquentés » ou le « mugissement du vent qui semblait courir à pas légers dans les corridors. » Qu’on s’imagine ses rêveries effrénées, ses mourantes tendresses, les divagations sensuelles de son attente amoureuse, et l’on comprendra comment il finit par succomber à la tentation du suicide. Cette perpétuelle intimité avec le ciel et les bois formera la substance même de son talent. Ce qu’il a le plus aimé, c’est la nature, et c’est aussi le ton descriptif, le sens plastique de la nature qui sera sa qualité dominante. Chateaubriand, en effet, est avant tout un peintre réaliste, un évocateur matériel. Il a inauguré la description telle que nous la constatons dans Flaubert ; c’est pour cela qu’il reste si jeune et que ses Mémoires d’Outre-tombe semblent presque un livre contemporain. Sa vocation d’artiste et ses sentiments d’homme se sont donc créés à Combourg, sous les influences d’un milieu qui aggravait ses prédispositions natives. Mais ce n’est là, pour ainsi dire, que le fond général du tableau. Dans ce milieu si propre à exagérer la sensibilité et la rêverie, il s’est