Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ses coquins qui fait du bruit. Enfin il est en haut. Ici le gîte du lièvre. Il pousse du bout des doigts la porte qui donne entrée dans la première chambre ; la porte cède, une petite ouverture se fait : il y présente l’œil ; c’est tout obscur : il y présente l’oreille, pour entendre si quelqu’un souffle, ronfle, remue de quelque manière là-dedans ; rien : donc, en avant : il met la lanterne devant son visage, pour voir sans être vu, ouvre tout à fait la porte, voit un lit, il y court : le lit est fait et uni, le revers de la couverture proprement rangé sur le chevet. Il plie les épaules, se tourne vers sa troupe, fait signe qu’il va voir dans l’autre chambre et qu’on ait à le suivre bien doucement : il y entre, fait le même manège, ne trouve rien de plus. « Que diable est ceci ? dit-il alors, quelque chien de traître nous aurait-il vendus ? » Ils se mettent tous, avec moins de précaution à regarder, à fureter dans tous les coins, ils mettent la maison sens dessus dessous. Pendant que ceux-ci sont à cette besogne, les deux qui font la garde à la porte de la rue entendent la marche de petits pieds qui s’avancent en se pressant : ils s’imaginent que celui qui vient, quel qu’il puisse être, passera droit : ils restent cois, et à tout événement se tiennent sur le qui vive. Dans le fait, les petits pieds s’arrêtent précisément devant la porte. C’était Menico qui accourait, envoyé par le père Cristoforo, pour dire aux femmes qu’au nom du ciel elles se sauvassent de leur maison à l’instant même et s’allassent réfugier au couvent, parce que… le pourquoi, vous le savez. Il prend la poignée extérieure de la serrure pour frapper, et sent cette serrure branler dans ses doigts, déclouée et, détachée. — Qu’est-ce que ceci ? — pense-t-il, et il pousse timidement la porte : elle s’ouvre… Menico met, non sans grande crainte, le pied dans la cour, et tout à coup il se sent saisir par les deux bras, en même temps que deux voix, l’une à droite, l’autre à gauche, lui disent d’un ton bas mais menaçant : « Silence, ou tu es mort ! » L’enfant, tout au contraire, pousse un grand cri : l’un des bandits lui met la main sur la bouche : l’autre sort un coutelas pour lui faire peur. Le pauvre Menico tremble comme la feuille et n’essaie même plus de crier ; mais au même instant, comme à sa place et sur un ton bien différent, se fait entendre ce premier coup de cloche si imprévu, et à la suite une tempête d’autres coups l’un touchant l’autre. Qui est en faute est en crainte, dit le proverbe milanais : l’un et l’autre des deux coquins crut entendre, dans ces coups son nom, son prénom, son surnom : ils lâchent les bras du petit garçon, retirent précipitamment les leurs, ouvrent toutes grandes leur main et leur bouche, se regardent dans les yeux, et courent vers la maison où était le gros de la troupe. Menico se sauve à toutes jambes dans la rue du côté du clocher, où à coup sûr il devait y avoir quelqu’un. Les autres bandits qui fouillaient la maison de la cave au grenier n’ont pas été moins frappés du terrible tintement, ils se troublent, vont et viennent, en désordre, se croisent, s’entre-choquent : chacun cherche le chemin le plus court pour gagner la porte. Et pourtant c’étaient tous gens éprouvés et habitués à montrer leur face à l’ennemi : mais ils ne purent tenir ferme contre un péril indéterminé et qui ne s’était pas fait voir un peu de loin avant de tomber sur eux. Il fallut toute la supériorité du Griso pour les tenir réunis, de manière que ce fût une retraite et