Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/503

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remarquer en lui encore un exemple de l’empire qu’exerce l’opinion du plus grand nombre sur les esprits même dont on admire le plus les lumières. On a vu, du moins d’après ce qu’en dit Ripamonti, que dans le commencement il était vraiment dans le doute ; il pensa toujours ensuite que dans l’opinion régnante entraient pour une grande part la crédulité, l’ignorance, la peur, le désir d’excuser un trop long retard à reconnaître la contagion et à prendre des mesures pour s’en garantir ; que l’on exagérait beaucoup, mais qu’en même temps il y avait quelque chose de véritable. On conserve dans la bibliothèque Ambrosienne un petit ouvrage écrit de sa main sur cette peste, et ce jugement qu’il portait sur les onctions y est souvent indiqué, une fois même énoncé en termes précis.

« L’opinion commune, dit-il à peu près, était que l’on composait de ces drogues en divers lieux, et qu’il y avait plusieurs moyens de les employer ; de ces moyens, quelques-uns nous paraissent véritables, d’autres de pure invention. »

Voici ses propres paroles :

Unguenta vero hœc aiebant componi conficique multifariam, fraudisque vias fuisse complures ; quarum sanè fraudum et artium quidem assentimur, alias vero fictas fuisse commentitiasque arbitramur.

De pestilentia quæ Medialani anno 1630 magnam stragem edidit.

Il y eut cependant des personnes qui pensèrent jusqu’à la fin, et pendant toute leur vie, que l’imagination avait fait en ceci tous les frais, et nous le savons, non de ces personnes, car il n’y en eut aucune assez hardie pour émettre devant le public un sentiment si opposé à celui du public même, nous le savons des écrivains qui se moquent de ce sentiment, qui le critiquent ou le réfutent comme le préjugé de quelques individus, comme une erreur qui n’osait disputer ouvertement contre la sagesse générale, mais qui n’en existait pas moins ; nous le savons aussi d’un homme qui s’en était instruit par la tradition.

« J’ai trouvé des personnes sages à Milan, dit le bon Muratori dans son ouvrage cité plus haut, qui avaient reçu de leurs anciens des rapports dignes de confiance, et qui n’étaient pas bien convaincus que le fait de ces onctions vénéneuses fût véritable. »

On voit que c’est un épanchement secret de la vérité, une confidence domestique ; le bon sens y était, mais se tenait caché, par crainte de l’opinion avec laquelle nul autre n’entrait en partage.

Les magistrats, chaque jour réduits en nombre, et de plus en plus livrés à tout l’égarement de leur trouble, employaient le peu de résolution dont ils étaient encore capables à rechercher les untori. Parmi les papiers du temps de la peste qui se conservent dans les archives dont il a été plus haut fait mention, se trouve une lettre (sans aucun autre document relatif au fait qu’elle énonce) dans laquelle le grand chancelier s’empresse, et fort sérieusement, d’informer le gouverneur qu’il lui avait été donné avis que, dans une maison