Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/504

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de campagne appartenant aux frères Girolamo et Giulio Monti, gentilshommes milanais, on composait du poison en si grande quantité que quarante hommes étaient occupés en este exercicio[1], et cela avec l’assistance de quatre nobles brescians, qui faisaient venir du pays vénitien la matière para la fabrica del veneno[2]. Il ajoute qu’il avait pris fort secrètement les mesures pour envoyer à l’endroit indiqué le podestat de Milan et l’auditeur de la Santé, avec trente hommes de cavalerie ; que malheureusement l’un des frères avait été averti assez à temps pour faire disparaître les traces du délit, ce dont il était probablement redevable à l’auditeur même, ami de ce personnage ; que l’auditeur avait cherché à se dispenser de partir ; mais que le podestat n’en était pas moins allé à reconocer la casa, y a ver si hallarà algunos vestigios[3], prendre des informations et arrêter tous ceux qui pourraient être prévenus du fait. Les recherches apparemment n’aboutirent à rien, puisque les écrits du temps qui parlent des soupçons dont ces gentilshommes étaient l’objet, ne citent aucun fait à la suite. Mais il n’est que trop vrai que, dans une autre circonstance, à force de chercher des coupables, on crut en avoir trouvé.

Les procès qui furent la conséquence de cette prétendue et déplorable découverte n’étaient sans doute pas les premiers de ce genre ; et l’on ne saurait non plus les considérer comme une rareté dans l’histoire de la jurisprudence. Car, sans parler des temps anciens, et en nous bornant à indiquer quelques-uns de ces procès dont les dates se rapprochent le plus de l’époque qui nous occupe, l’on vit à Palerme, en 1526, à Genève, en 1530, puis en 1545, puis encore en 1571, à Casal de Montferrat en 1536, à Padoue en 1555, à Turin en 1599, à Turin encore dans cette même année 1630, poursuivre et condamner à des supplices qui ordinairement étaient des plus atroces, des infortunés en plus ou moins grand nombre dans ces diverses localités, et que l’on disait coupables d’avoir propagé la peste au moyen de poudres ou de drogues, ou de maléfices, ou du tout ensemble. Mais l’affaire des prétendues onctions de Milan, de même qu’elle fut la plus célèbre, est aussi peut-être celle qui mérite le plus d’être observée, ou du moins elle présente plus de moyens d’observation, parce qu’il nous reste à ce sujet des documents plus circonstanciés et plus authentiques ; et, quoique un écrivain auquel nous avons tout à l’heure rendu hommage[4] s’en soit occupé avec la sagacité qui le distingue, cependant, comme il ne s’était pas autant proposé d’en donner l’histoire proprement dite, que d’y puiser des arguments pour un autre sujet d’une importance plus grande, ou, ce qui est sûr, du moins, plus immédiate, qu’il avait entrepris de développer[5], il nous a paru que cette histoire pourrait être l’objet d’un nouveau travail. Mais

  1. À ce travail.
  2. Pour la fabrication du poison.
  3. Reconnaître la maison et voir s’il ne trouverait pas quelques vestiges.
  4. P. Verri, dans l’ouvrage déjà cité.
  5. L’ouvrage de Pierre Verri, dont il est ici question, a pour titre : « Observations sur la torture et, notamment, sur les effets qu’elle produisit à l’occasion des onctions malfaisantes auxquelles on attribua la peste qui ravagea Milan en l’année 1630). » (Note du Traducteur.)