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DONATELLO.

et malicieusement Brunelleschi le prie d’aller devant. Il viendra le retrouver dans un instant à l’atelier. Or, il avait préparé sa surprise : son Christ, placé en bonne lumière, était disposé de telle sorte qu’il accueillit le visiteur. Donatello, de stupéfaction, laisse tomber toutes les provisions, s’extasie sur la perfection du travail, et Brunelleschi le trouve dans cette occupation, avec le déjeuner assez endommagé.

L’anecdote est jolie et elle sent la vérité. Elle prouve surtout la bonne foi, la modestie de Donatello, son ardeur à s’oublier soi-même devant un beau travail, même s’il ne correspond en rien avec ses propres tendances. Seulement nous ne ratifions pas pour notre compte ce bel aveu de défaite. Le Christ de Santa Croce demeure à notre avis bien supérieur à celui de Brunelleschi, que l’on peut voir à Santa Maria Novella. La perfection froide et sèche qui enthousiasmait Donatello au point de vue technique, nous laisse peu d’émotion, tandis que le « paysan crucifié » nous touche le cœur, malgré ou à cause de son soi-disant réalisme.

Maintenant, quant au moment même où ce tournoi d’art eut lieu, on comprend aisément que certains critiques aient été tentés, aidés de l’obscurité chronologique où le laisse le récit de Vasari, de le placer avant le voyage à Rome. L’hypothèse serait telle : Donatello acceptant d’autant plus volontiers de partir qu’il sentait la nécessité de se « corriger » de ses tendances réalistes par l’étude de la pureté antique. Malheureusement, cela