Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/188

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imprévus dans la guerre parlementaire, et les partis sans cesse trompés de la même manière, parce qu’ils ne songent jamais qu’au plaisir que leur procure à eux-mêmes la parole de leur grand orateur et jamais à l’excitation dangereuse qu’elle va donner à leurs adversaires.

Quand Lamartine, qui s’était tenu jusque-là dans le silence, et, je crois, dans l’indécision, entendit pour la première fois depuis février retentir de nouveau avec éclat et avec succès la voix de l’ancien chef de la gauche, il prit soudainement son parti et demanda la parole. « Vous comprenez, me dit Champeaux le lendemain, qu’avant tout il fallait empêcher l’Assemblée de prendre une résolution sur l’avis de Barrot. » Lamartine parla donc, et, suivant sa coutume, il parla d’une manière brillante.

La majorité, qui était déjà entrée dans la voie que lui ouvrait Barrot, rebroussa chemin en l’écoutant (car cette Assemblée était plus crédule et plus soumise qu’aucune autre que j’eusse encore vue, aux tromperies de l’éloquence ; elle était assez novice et assez innocente pour rechercher les raisons de se décider dans les discours des orateurs). Ainsi Lamartine gagna sa cause, mais il manqua sa fortune ; car il fit naître ce jour-là des défiances qui s’accrurent bientôt, et le précipitèrent du faîte de la popularité qu’il occupait, plus vite qu’il n’y était monté. Les soupçons prirent