Page:Alfieri - De la Tyrannie.djvu/135

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tyrannies sous lesquelles l’Europe gémit. Nous cultivons les sciences, les lettres, le commerce, tous les arts et tous les usages de la vie civile. On ne peut nier tous ces faits ; mais nous dont l’esprit est cultivé, nous qui sommes si profonds dans les sciences, nous enfin qui sommes l’élite des habitans de ce globe, nous souffrons patiemment ces mêmes tyrans que les peuples de l’Asie si vils à nos yeux, si ignorans, si peu policés, souffrent comme nous, mais dont ils ont quelquefois le courage de se délivrer. Celui qui ne sait pas que la liberté a existé et qu’elle peut exister encore, ne sent pas la servitude, et qui ne la sent pas est excusable de la supporter. Mais que dirons-nous de ces peuples qui la connaissent, qui la sentent, qui frémissent d’être esclaves, et qui cependant se taisent et languissent dans l’esclavage ?

La différence qui s’y trouve donc, c’est que les tyrans de l’Orient peuvent tout et font tout, mais ils sont souvent renversés de leurs trônes et égorgés. Les tyrans de l’Occident peuvent tout également, mais ils ne font que ce qu’il leur est nécessaire, et ils restent sur leurs trônes inattaquables avec sûreté et impunis. Les peuples de l’Asie se regardent comme possesseurs incertains de