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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/43

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ABÉLARD (ÉCOLE THÉOLOGIQUE D’)

Ecelesiæ dissentientes. Ibid., p. 54. Du reste il est certain que l’admiration pour Abélard survécut au concile de Sens. C’est en 1159 que Jean de Salisbury comblait d'éloges son ancien maître. Même après 1141, Pierre Lombard, quoique formé à l’école si orthodoxe de Saint-Victor, loin d’oublier les leçons reçues d’Abélard, feuilletait sans cesse l’Introductio ad theologiam ; c’est Jean de Cornouailles, son disciple, qui nous l’assure. Eulogium ad Alexandrum III, P. L., t. cci, col. 1052. Bien après la mort d’Abélard, Gerhoch de Reichersberg, dans sa lettre au pape Adrien IV contre les adoptianistes, ne voyait en eux que des disciples d’Abélard, et montre avec effroi les écoles de France et de tous pays obscurcies par l’épaisse fumée qu’il avait laissée derrière lui : Fumant scholæ plures in Francia et aliis terris permaxime a duabus candis ticionum fumigantium vid. Petri Abaiolardi et episcopi Gilliberti. Quorum discipuli eorum dictis et scriptis imbuti hominem Verbo Dei imbutum negant esse Filium Dei, etc. Cod. ms. 434 Admunt., dans Bach, Die Dogmengeschichte…, t. ii, p. 37. — En France, l’influence des principes d’Abélard parut au grand jour dans l’enseignement de Guillaume de Conches. Philosophe plutôt que théologien, il avait déduit les conséquences du système et enseignait, sans déguisement aucun, le pur sabellianisme. Guillaume de Saint-Thierry voit revivre en lui Abélard : « Ils pensent de même, ils parlent de même, si ce n’est que l’un trahit l’autre sans s’en douter. Le premier dissimulait, mais le second déclare brutalement leur sentiment commun. » De erroribus Guillelmi de Conchis, P. L., t. clxxx, col. 334. On est assez surpris de voir la fameuse théorie sur « le Saint-Esprit âme du monde », devenir déjà au xiie siècle un évolutionnisme matérialiste, d’après lequel le monde des corps serait seul réel, Dieu et l’âme étant seulement la loi qui préside à l’évolution des êtres : Stultorum quorumdam philosophorum videtur sententiam sequi, dicentium nihil esse præter corpora et corporea, non aliud esse Deum in mundo quam concursum elementorum et temperaturam naturæ, et hoc ipsum esse animam in corpore. Id., ibid., col. 339-340. Guillaume de Conches eut la sagesse de se rétracter dans son Dragmaticon philosophiæ. Histoire litt. de la France, t. xii, p. 464. Mais il est clair que si l’école d’Abélard n’eût eu que de tels représentants, elle était perdue. Sa durée s’explique par la modération de plusieurs de ses maîtres, de Roland surtout, modération due en grande partie à l’influence de l’école de Saint-Victor.

II. Relations de l’école d’Abélard avec l’école de Saint-Victor. — Un second fait qui ressort des publications des PP. Denifle et Gietl, c’est l’influence mutuelle qu’ont exercée l’une sur l’autre l’école aventureuse d’Abélard et l’école traditionnelle de Saint-Victor. Celle-ci est représentée par les grands noms de Hugues, Richard et Adam de Saint-Victor et par les ouvrages suivants : De sacramentis libri duo (de Hugues) ; Quæstiones in Epistolas S. Pauli, certainement postérieures à Hugues, puisqu’elles citent maître Achard ; Hauréau, Les œuvres de Hugues de Saint-Victor, Paris, 1886, p. 29 ; le Speculum de mysteriis Ecclesiæ, P. L., ibid., col. 302, qui n’a pu être écrit avant 1180 ; enfin la célèbre Summa sententiarum que Du Boulay regardait à tort comme la première Somme, modèle et origine de huiles les autres. Bulæus, Hist. Univ. Paris., t. ii, p. 64. Or c’est précisément la comparaison de cette Somme avec les Sommes abélardiennes qui manifeste la fusion des deux écoles.

1o Influence de l’école de Saint-Victor sur l’école d’Abélard. — L’école d’Abélard rentre peu à peu dans l’orthodoxie sous l’influence des écrits de Saint-Victor. La réalité des emprunts a été démontrée pour Roland et pour Ognibene par le P. Gietl, Die Sentenzen…, p. 49, 50, 54 et passim. Le résultat fut chez Roland surtout la correction de bon nombre d’erreurs. Sans doute on trouve encore chez lui des formules suspectes ou fausses, par exemple la fameuse proposition : Christus, secundum quod honto, non est persona, nec aliquid, Die Sentenzen…, p. 176, proposition qu’il devait comme pape condamner solennellement en 1170 et en 1179. Cf. Jaffé-Loewenfeld, Regesta pont. rom., n. 11806 (7894) et 12785 (8407) ; Denifle, Chartidarium univ. Paris., t. i, n. 3 et 8 ; voir Adoptiamsme au xiie siècle. Mais le plus souvent avec pleine indépendance il corrige Abélard. Ainsi : 1. à sa définition de la foi il ajoute un mot qui aurait satisfait saint Bernard : Fides est certa existimatio rerum absentium ; et de plus il propose la formule si chère à Hugues, Fides est… infra scientiam et supra opinionem constiluta. Die Sentenzen…, p. 10-11. Cf. Summa sent., P. L., t. clxxvi, col. 43 ; De sacramentis, col. 327. — 2. A propos de la Trinité il admet encore des expressions ambiguës, même la comparaison du sigillum æneum, Die Sent., p. 29, mais il se hâte d’expliquer et de ramener tout à la vérité. — 3. Il réfute sous toutes ses formes l’optimisme du Magister Petrus, ibid., p. 54-89, comme l’avaient réfuté Hugues et la Summa sententiarum. — 4. Il rejette l’erreur d’Abélard sur le péché originel et emprunte à l’école de Saint-Victor la théorie qui l’identifie avec la concupiscence. Ibid., p. 132-136, 202 ; cf. De sacramentis, l. I, p. VII, c. xxvi-xxxii, P. L., t. clxxvi, col. 298-302 ; Summa sent., tr. III, c. xi, col. 106. — 5. L’explication du rachat de l’homme a servitute diaboli est encore puisée à Saint-Victor contre Abélard. Die Sentenzen, p. 162 ; cf. De sacram., l, p. VIII, c. ii, P. L., t. clxxvi, col. 308. — 6. Il en est de même de l’efficacité du baptême de désir, niée par Abélard, mais enseignée par Roland avec l’école victorienne. Die Sentenzen, p. 209 ; Summa sent., tr. V, c. v, P. L., t. clxxvi, col. 132 ; De sacram., l. I, part. IX, c. v, col. 323. — 7. Même sur des questions absolument libres comme celle du « lieu des anges », Roland abandonne la thèse d’Abélard (plus tard embrassée par les thomistes) que les esprits sont « en dehors de tout lieu », Epitome, c. xxvii, P. L., t. clxxviii, col. 1738, pour adopter la théorie victorienne (et plus tard suarésienne) en disant angelos esse in loco, non iamen esse locales vel circumscriplibiles. Die Sentenzen, p. 88 ; cf. Hugues, De sacrant., 1. I, part. XIII, c. xvin, col. 224 ; Stimma sent., tr. I, c. v, col. 50.

2o Influence de l’école d’Abélard sur l’école de Saint-Victor. — Mais Saint-Victor à son tour subit l’influence de l’école d’Abélard, et l’auteur de la Summa sententiarum lui doit une part des progrès qu’elle réalise sur le De sacrantentis. — 1. D’abord le caractère patristique : l’argument de tradition précédant et inspirant les spéculations rationnelles, voilà dans la Summa le cachet distinctif qui la sépare des Libri de sacramentis, où les Pères sont oubliés au point que dans les quatre premières parties on ne trouverait peut-être pas un seul texte. Cf. Mignon, Les origines de la scolastique et Hugues de Saint-Victor, t. i, p. 180. C’est là une modification d’une extrême importance, puisque seule elle devait vivifier la scolastique, et assurer le succès de Pierre Lombard. Or, si elle fut motivée chez l’auteur de la Summa sententiarum (voir præfatio, P. L., t. clxxvi, col. 41) par des préoccupations d’orthodoxie, elle avait été inaugurée par l’école d’Abélard, et facilitée par le Sic et non, mine où la Summa puisera souvent. Dès le c. ii, quatre textes sont pris du c. ii correspondant du Sic et non. P. L., t. clxxviii, col. 1353 ; cf. Denilfle, Archiv, etc., t. i, p. 620. — 2. Un autre progrès dû à l’école d’Abélard, c’est la méthode dialectique, appliquée dans sa sévérité technique à l’enseignement de la théologie. Hugues, dans son ouvrage De sacramentis, avait encore fait une œuvre littéraire, où de longs développements dissimulent la thèse, les preuves et les objections. Abélard au contraire avait inspiré aux siens,