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ANSELME

non résolues jusqu’à lui, et à prouver par raisons évidentes que ses solutions étaient vraies et catholiques. Les jours ne lui suffisant pas, il passait une partie de ses nuits à prier et à corriger des manuscrits. Une nuit qu’il était couché, il cherchait comment les prophètes avaient pu voir comme présent le passé et l’avenir ; il vit soudain de son lit les moines, chacun suivant son office, allumer, préparer l’autel pour les Matines, sonner la cloche, et à ce son tous les frères se lever. Il comprit qu’il n’était pas plus difficile à Dieu d’éclairer les prophètes. Ce qu’était son enseignement, nous pouvons nous en faire une idée par ses opuscules, par les dialogues surtout, dont quelques-uns, comme le De grammatico, sont de petits chefs-d’œuvre pédagogiques. Grand spéculatif, il était aussi grand directeur d’âmes ; et en même temps qu’il gagnait tout le monde autour de lui, il répandait au loin le bon renom du monastère et y attirait une élite avide de science et de perfection religieuse. Il avait grâce pour gagner des jeunes gens et pour les former ; il s’en occupait avec un soin spécial, et maint trait de sa vie, mainte parole ou mainte lettre de lui nous montrent quel art il avait pour gagner les cœurs, comment il savait se proportionner à l’âge et comment il comptait plus sur la douceur que sur la violence. Eadmer, l. I, c. ii, n. 13, 17, P. L., t. clviii, col. 57, 59 ; c. iv, n. 30, col. 67. Cf. Guibert de Nogent, De vita sua, l. I, c. xvii, P. L., t. clvi, col. 874.

Le 26 août 1078, mourait le saint abbé Herluin, fondateur du Bec. Tous les suffrages désignèrent Anselme pour lui succéder ; et, non moins que le prieur, l’abbé fut pour tous comme une vision de la bonté divine. Un plus lourd fardeau lui était réservé.

3. L’évêque. — Plusieurs fois déjà les affaires du Bec l’avaient amené en Angleterre et, comme partout, il s’était fait aimer et vénérer. Le siège de Cantorbéry était vacant depuis quatre ans, quand le roi Guillaume le Roux, d’accord pour une fois avec son clergé et tout son peuple, choisit Anselme pour succéder à Lanfranc, 6 mars 1093. Malgré ses résistances, la « pauvre vieille petite brebis » fut attelée au joug avec « le taureau indompté » qu’était le roi. Eadmer, Hist. novorum, l. I, P. L., t. clix, col. 368. C’en est fait pour lui des doctes loisirs et de la paix monacale. Il ne cessera de les regretter, et sa grande joie sera de se retrouver au milieu des moines : « Le hibou dans son trou est content avec ses petits ; ainsi moi au milieu des moines. » « J’aimerais mieux, disait-il encore, être au milieu des moines l’enfant qui tremble sous la verge du maître, que le primat d’Angleterre sur son siège pontifical. » Eadmer, Vita, l. II, c. i, n. 8, P. L., t. clviii, col. 83. On sait sa résistance invincible aux prétentions de ce tyran brutal et gouailleur que fut Guillaume le Roux. La querelle allait plus loin que la question des investitures, plus loin que cette « liberté de l’Église, la chose que Dieu aime le plus en ce monde ». C’est au schisme que tendait Guillaume. La grande intelligence d’Anselme, sa vue claire des droits et des prérogatives de l’Église furent pour beaucoup dans son attitude : le théologien montrait son devoir au saint. En 1097, il put enfin aller à Borne et voir le pape Urbain II. Son séjour en Italie se prolongea. En 1098, il assista au concile de Bari, on sait avec quel éclat. En avril 1099, il prend part au synode de Borne où furent renouvelés les décrets contre la simonie, le concubinage des clercs, l’investiture laïque. En août 1100, on apprit la triste mort de Guillaume le Roux. Son frère, Henri Beauclerc, lui succéda et invita le primat à revenir. La paix ne fut pas longue, et, en avril 1103, Anselme reprenait le chemin de Rome. Il ne devait rentrer en Angleterre qu’en septembre 1106. Cette fois, l’accord était sincère et le vieil archevêque put mourir en paix.

4. Derniers jours. — « Ne pouvant plus marcher, dit Eadmer, l. II, c. ii, P. L., t. clviii, col. 115, il se faisait porter tous les jours à l’oratoire pour assister à la messe, car il avait une dévotion tendre à l’eucharistie. » C’est seulement cinq jours avant sa mort qu’on parvint à lui faire garder absolument le lit. Ses chères études eurent une part dans ses dernières pensées. « On était au dimanche des Rameaux ; nous restions, comme de coutume, assis près de lui. L’un de nous lui dit : « Seigneur Père, à ce que nous voyons, vous vous en allez de ce monde fêter la Pâque à la cour de votre maître. » Il répondit : « Si c’est son bon plaisir, volontiers je m’y soumets. Mais s’il voulait me laisser encore parmi vous pour me permettre au moins d’éclaircir la question que je poursuis en ce moment, celle des origines de l’âme, je l’accepterais avec reconnaissance ; car je ne sais si personne après moi l’éclaircira. » Dieu ne le voulut pas, et Anselme mourut à l’aube du mercredi saint, 21 avril 1109. Il allait avoir 76 ans.

La Vita Anselmi d’Eadmer se trouve dans les Bollandistes (21 aprilis), avec quelques notes du P. Henschenius ; Migne l’a rééditée d’après Gerberon, P. L., t. clviii, col. 49-120, ainsi que l’Historia novorum, P. L., t. clix, col. 347-524. Les deux ouvrages ont été réédités à Londres en 1884, dans les Rolls series. par M. Rule.

II. Les œuvres. Chronologie et authenticité. — Anselme signait ses écrits, c’est-à-dire qu’il mettait son nom à côté du titre. Il y joignait d’ordinaire une préface qu’il faisait suivre d’une table des chapitres pour donner une première idée de l’opuscule. Voir Monologion, prologue, P. L., t. clviii, col. 144 ; Proslogion, préface, col. 225 ; Cur Deus homo, préface, col. 362.

Dans sa correspondance, il est souvent question de ses œuvres ; Eadmer enfin nous en parle aussi et parfois raconte les circonstances où elles ont été composées. Nous avons ainsi, sur les principaux écrits d’Anselme, des renseignements précieux qui nous en garantissent l’authenticité et qui nous permettent, sinon de les classer tous avec certitude dans l’ordre chronologique, au moins de les rapporter à des périodes précises de la vie du saint auteur.

i. ouvrages écrits par anselme, prieur au bec (1063-1078) ou abbé (1079-1093). — Eadmer, Vita, l. II, n. 25, P. L., t. clviii, col. 62, rapporte à ce temps les trois traités De veritate, De libertate arbitrii, De casu diaboli, auxquels il ajoute le De grammatico. Il mentionne ensuite, toujours comme du même temps, le Monologion qui fut suivi du Proslogion, ibid., n. 26, col. 63, et de la réponse à Gaunilon. Peut-on préciser davantage ? Anselme, dans le prologue ajouté plus tard au De veritate, P. L., t. clviii, col. 467, mentionne les quatre premiers traités dans le même ordre qu’Eadmer, en ajoutant pour les trois premiers, qu’il les a écrits à différentes époques ; il veut qu’on les groupe ensemble et dans l’ordre indiqué, mais sans dire que cet ordre est celui de la composition. Le fait qu’on les avait « rangés autrement en les transcrivant avant qu’ils ne fussent achevés » ferait plutôt supposer le contraire, comme aussi le fait que le prologue placé en tête du dialogue De veritate montre que les trois autres dialogues existaient déjà.

Le Monologue d’ailleurs est antérieur au De veritate, puisqu’il y est cité deux fois, c. i, P. L., t. clviii, col. 468, et c. x, col. 479. Il est même probable que c’est le premier opuscule publié par Anselme (quoique peut-être le De grammatico ait été fait plus tôt). La Préface en effet, semble indiquer un premier écrit et les hésitations d’un débutant, P. L., t. clviii, col. 143, comme aussi le fait qu’il ne le croyait pas digne du nom de livre et qu’il le donna d’abord sans nom d’auteur. Proslogion, Proœmium, t. clviii, col. 224. Anselme parle souvent du Monologion soit dans ses autres écrits, soit dans sa correspondance. Cf. Epist., i, 63, 65, 68, 74 ; ii, 17 ; iv, 183. Il est question du Proslogion dans le De fide Trinitalis, c. iv, et dans la correspondance, Epist., ii, 11, 17, 27. Quelques Méditations datent aussi du priorat,