mettre en lumière l’élément suprarationnel et mystérieux des vérités révélées, tandis que les antiochiens insistaient surtout sur leur côté rationnel et s’attachaient à démontrer qu’elles ne contredisent pas les données de la raison ; on pourrait dire qu’ils jetèrent les fondements de la théologie rationnelle et préparèrent la voie aux scolastiques du moyen âge. Mais c’est surtout en exégèse que s’accusent les tendances des deux écoles, et la supériorité incontestable des antiochiens. Les exégètes d’Alexandrie, marchant sur les traces d’Origène, cherchaient partout l’allégorie et se renfermaient presque toujours dans le sens mystique et figuré de l’Écriture ; au contraire les exégètes d’Antioche s’attachaient au sens littéral, historique et grammatical. L’historien Socrate a parfaitement caractérisé l’exégèse d’Antioche en disant de l’un de ses maîtres : Ψιλῷ τῷ γράμματι τῶν θείων προσέχων Γραφῶν, τὰς θεωρίας αὐτῶν ἐϰτρεπομένος, « il s’attache au sens simple des divines Écritures, laissant de côté le sens allégorique. » H. E., vi, 3, P. G., t. lxvii, col. 668. Cf. aussi Sozomène, H. E., viii, 2, P. G., t. lxvii, col. 1516 ; Photius, Bibl., codex 38, P. G., t. ciii, col. 72. À Alexandrie, on semble faire une plus large part à l’érudition, tandis qu’à Antioche on cultive avant tout l’esprit critique. Ces deux écoles se contrebalancent : celle d’Alexandrie est supérieure en théologie, et celle d’Antioche en exégèse.
iii. Doctrines de l’école d’Antioche. — On peut ranger sous trois chefs les doctrines théologiques de l’école d’Antioche : 1o la christologie ; 2o la sotériologie ; 3o l’anthropologie.
1o Christologie. — L’idée qui domine la christologie de l’école d’Antioche est de montrer, contrairement aux apollinaristes et aux alexandrins, que les deux natures en Jésus-Christ conservent toutes leurs propriétés et échappent à toute confusion, de maintenir la distinction de l’élément divin et de l’élément humain, et d’expliquer, par le travail de la raison humaine, le mystère de l’Homme-Dieu. Naturellement tous les antiochiens ne furent pas des théologiens. Ce sont les principaux d’entre eux qui nous fourniront les éléments de notre exposition, en particulier Théodore de Mopsueste qui poussa à l’extrême et jusqu’à l’hérésie les doctrines qui étaient restées dans les limites de l’orthodoxie et à l’état de tendances chez la plupart des autres représentants de l’école. Quelle est l’union qui existe, en Jésus-Christ, entre la nature divine et la nature humaine ? — Cette union ne peut être physique, ἕνωσις φυσιϰή, ni hypostatique, ἕνωσις ϰαθ’ ὑπόστασιν, car une pareille union altérerait à la fois et la divinité et l’humanité. Le verbe de Dieu a pris la chair mais il ne s’est pas fait chair : Λόγος σὰρξ ἐγένετο — ἐνταῦθα το « ἐγένετο » οὐδαμῶς ἑτέρως λέγεσθαι δυνάμενον εὑρήϰαμεν ἂ ϰατὰ τὸ δοϰεῖν… τὸ δοϰεῖν οὐ ϰατὰ τὸ μὴ εἰληφέναι σάρϰα ἀληθῆ, ἀλλὰ ϰατὰ τὸ μὴ γεγενῆσθαι· ὅταν μέν γὰρ « ἔλαϐεν » λέγῃ, οὐ ϰατὰ τὸ δοϰεῖν ἀλλὰ ϰατὰ ἀληθὲς λέγει· ὅταν δὲ « ἑγένετο » τότε ϰατὰ τὸ δοϰεῖν, οὐ γὰρ μετεποιήθη εἶς σάρϰα. Théodore de Mopsueste, Περὶ ἐνανθρωπήσεως, édit. Swete, 2 vol. in-8o, Cambridge, 1880-1882, l. IX, p. 300 ; cf. P. G., t. lxvi, col. 981. Depuis ce moment il a habité, ἐνοίϰησις, en Jésus : ϰαταϐέϐηϰεν ἐξ οὐρανου τῷ μὲν τῇ εἰς τὸν ἅνθρωπον ἐνοιϰήσει· ἔστιν δὲ ἐν οὐρανῷ τῷ ἀπεριγράφῳ τῇς φύσεως πᾶσιν παρών. Ibid., l. IX, p. 301. Cf. P. G., t. lxvi, col. 984. Cette habitation n’est nullement substantielle, ϰατ’ οὐσίαν, mais uniquement par la grâce, ϰατὰ χάριν, et de bienveillance, ϰατ’ εὐδοϰίαν. Il faut la concevoir comme une simple union, συνάφεια, c’est-à-dire que le Verbe habite en Jésus comme dans un temple. Théodore de Mopsueste, Adv. Apollin., édit. Swete, l. III, p. 313. S’il en est ainsi il s’ensuit que l’union entre les deux natures ne peut être qu’une union de relation, ἔνωσις σχετιϰή ; elle consiste uniquement dans une communication de sentiments, d’énergie et de volonté ; elle est donc purement morale.
La nature est identique à la personne. Par conséquent, comme il y a en Jésus-Christ deux natures, il y a aussi deux hypostases ou deux personnes, δύο ὑποστάσεις, πρόσωπα : ὅταν μὲν γὰρ τὰς φύσεις διαϰρίνωμεν, τελείαν τὴν φύσιν τοῦ Θεοῦ Λόγου φαμέν, ϰαὶ τέλειον τὸ πρόσωπον· οὐδὲ γὰρ ἀπρόσωπον ἔστιν ὑπόστασιν εἰπεῖν·τελείαν δὲ ϰαὶ τὴν τοῦ ἀνθρώπου φύσιν ϰαὶ τὸ πρόσωπον ὁμοίως· ὅταν μέντοι ἐπὶ τὴν συνάφειαν ἀπίδωμεν, ἐν πρόσωπον τότε φάμεν. Théodore de Mopsueste, Περὶ ἐνανθρωπήσεως, édit. Swete, l. VIII, p. 299 ; cf. P. G., t. lxvi, col. 981.
Les deux natures en Jésus-Christ sont deux sujets : une nature, qui ne serait pas personne, est inconcevable. Mais un sujet ne peut pas devenir l’autre. Par conséquent le Verbe n’est pas devenu homme. Chacune des deux natures a conservé ses propriétés distinctes. L’homme seul est né, a souffert, est mort. — Quoiqu’il y ait en Jésus-Christ deux sujets, au sens métaphysique, il n’y a cependant qu’un sujet d’adoration, χωρίζω τὰς φύσεις, ἑνω τὴν προσϰύνησιν. — On constate ici que l’école d’Antioche essaya d’introduire une certaine unité en Jésus-Christ, bien qu’il soit difficile de comprendre au juste en quoi elle consistait. Les formules ne manquent pas : il est bon de les rappeler : Diodore de Tarse avait dit : Δύο υἱοὺς τοῦ Δαϐὶδ οὖ λέγω. Cf. Léonce de Byzance, Adv. Nestor, et Eutych., P. G., t. lxxxvi, col. 1388. Théodore de Mopsueste dira plus énergiquement : οὔτε δύο φαμὲν υἱοὺς, οὔτε δύο ϰυρίους, ἐπειδὴ… εἰς υἱὸς ϰατ’ οὐσίαν. Symb. Theodor. Mopsuest., dans Mansi, Concil. collect., t. iv, p. 1345.
Enfin, d’après les mêmes principes, Marie ne peut être appelée mère de Dieu, si ce n’est improprement. Elle est mère de l’homme, ἀνθρωποτόϰος, au sens propre du mot, en réalité, τῇ φύσει τοῦ πράγματος ; mais elle est mère de Dieu, θεοτόϰος, uniquement par relation, τῇ ἀναφορᾷ. Il est absurde de dire que Dieu a été engendré par une vierge : ἔστιν μὲν γὰρ ἀνόητον τὸ τὸν Θεὸν ἐϰ τῆς παρθένου γεγεννῆσθαι λέγειν. Théodore de Mopsueste, Adv. Apollin., édit. Swete, col. 1345.
La conséquence, presque naturelle, de cette doctrine fut que Jésus-Christ avait suivi un développement successif et graduel au milieu des luttes et des combats, comme celui qui a lieu dans la nature humaine. Nous trouvons cette opinion dans Diodore de Tarse et Théodore de Mopsueste. Ce dernier dit explicitement : Ἰησοῦς δὲ πρέϰοπτεν… χάριτι παρὰ Θεῷ — χάριτι δέ, ἀϰόλουθον τῇ συνέσει ϰαὶ τῇ γνώσει τὴν ἀρετὴν μετιών, ἐξ ἧς ἡ παρὰ τῷ Θεῷ χάρις αὐτῷ τὴν προσθήϰην ἐλάμϐανεν… δῆλον δὲ ἄρα ϰἀϰεῖνο, ὡς τὴν ἀρετὴν ἀϰριϐέστερόν τε ϰαὶ μετὰ πλείονος ἐπλήρου τῆς εὐχερείας ἢ τοῖς λοιποῖς ἀνθρώποις ἧν δυνατόν, ὅσω ϰαὶ ϰατὰ πρόγνωσιν τοῦ ὁποῖός τις ἔσται ἑνώσας αὐτὸν ὁ Θεὸς Λόγος ἑαυτῷ ἐν αὐτῆ διαπλάσεως ἀρχῇ, μείζονα παρεῖχεν τὴν παρ’ ἑαυτοῦ συνέργειαν πρὸς τὴν τῶν δεόντων ϰατόρθωσιν. Περὶ ἐνανθρωπήσεως, édit. Swete, l. VII, p. 297 ; cf. P. G., t. lxvi, col. 986.
2o Sotériologie. — La sotériologie des antiochiens n’est pas facile à préciser. Les éléments les plus certains sont les suivants. Le pouvoir que possède tout homme de se délivrer des passions et de la sensualité, par la pratique constante de la vertu, est devenu un fait accompli pour Jésus-Christ, le second Adam. L’Homme-Dieu montre à tous les hommes la voie à suivre pour parvenir à une vie angélique. Le second Adam apparaîtra de nouveau pour porter tous les hommes à l’imiter : ἐπὶ τῷ πάντας εἰς μίμησιν ἄγειν ἑαυτοῦ. — La rédemption ne paraît pas avoir été considérée par l’école d’Antioche, comme une délivrance, une nouvelle naissance, la rémission des péchés ; elle serait purement morale dans ce sens que Jésus-Christ serait devenu notre modèle et nous entraînerait à sa suite.
3o Anthropologie. — Pour Théodore de Mopsueste l’homme ici-bas est le lien entre le monde spirituel et invisible et le monde matériel et visible, le révélateur