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MIRACLE, POSSIBILITE : LE DETERMINISME


entraîne le même conséquent. » Cf. H. Poincaré, La valeur de la science, p. 42, 258 ; La science et l’hypothèse, p. 169. Mais ce caractère de nécessité hypothétique des lois scientifiques permet d’envisager la possibilité du miracle, nonobstant cette nécessité. Car le miracle est dû précisément à l’intervention de la cause surnaturelle, circonstance nouvelle qui change totalement les conditions de l’activité des êtres. Voir plus loin. Observons toutefois, conformément à la doctrine exprimée par saint Thomas, que le miracle ne faisant pas qu’une nature créée ne soit pas ce qu’elle est (non est contra rationes séminales), il y a nécessité absolue à ce qu’un être possède les propriétés qui constituent sa nature propre ; le feu a la puissance de brûler et de réchauffer. Mais c’est le résultat de ces propriétés actives mises en branle qui peut être suspendu ou modifié par l’intervention particulière de Dieu. C’est donc dans cette application effective de l’activité des natures créées que se rencontre la nécessité hypothétique des lois scientifiques. La possibilité du miracle est encore plus facilement concevable si l’on considère que l’agent dont dépend le miracle, Dieu, est l'être souverainement libre et indépendant, maître de son action dans toutes les natures créées. Ainsi, le miracle « respecte le déterminisme des lois naturelles », comme l'écrit A. de Poulpiquet, Le miracle et ses suppléances, p. 171. On a constaté, disent les déterministes, que Dieu n’intervient pas dans le monde en dehors du gouvernement général. Le fait resterait à démontrer. Mais fût-il démontré, il ne s’en suivrait pas encore que Dieu ne pourrait intervenir, et donc que le miracle soit impossible.

Deuxième aspect. — Deux réponses ont été proposées pour résoudre l’objection tirée de la loi de la conservation de l'énergie.

Certains défenseurs du miracle ont dit que « l’action miraculeuse n’implique pas la création de nouveaux éléments et de nouvelles énergies, mais seulement l’impression d’une nouvelle direction à l'énergie cosmique existante. Le principe de la conservation de l'énergie comporte uniquement la constance de la quantité des énergies matérielles, et n’exclut aucunement l’existence de principes qui déterminent la forme de ces énergies matérielles ou en modifient la qualité. » Van Hove, p. 200, rapportant la réponse de J. de Bonniot, op. cit., p. 59-62 ; Van de Woestyne, Cursus philosophicus, t. ii, Malines, 1925, p. 207 ; A. Zacchi, Il miracolo, Milan, 1923, p. 292. Il y a, sans doute, une part de vérité dans cette réponse : car, même en dehors de l’hypothèse du miracle, il faut envisager le problème général de la liberté et de la conservation de l'énergie. Néanmoins, il faut bien avouer que tous les miracles ne peuvent trouver une explication plausible, si l’on maintient dans son intégralité le principe de la conservation de la matière et de l'énergie. A-t-on songé aux miracles de la multiplication des pains et des poissons ? Et les mêmes difficultés apparaissent lorsqu’il s’agit d’expliquer des reconstitutions de tissus, telles qu’on en observe dans certains miracles de Lourdes. Cf. E. Le Bec, Prennes médicales du miracle, Paris, 1917, p. 133146 ; Critique et contrôle médical des guérisons surnaturelles, Paris, 1920, p. 14-15 ; (Le supplice de la croix), Les forces naturelles inconnues et le miracle, Paris, 1927, p. 31-32. Aussi, avec M. Van Hove, estimons-nous que cette première réponse n’est pas adéquate.

Une deuxième réponse, plus satisfaisante, consiste à dire que la loi de la conservation de l'énergie n’a devaleur et de certitude que pour un système matériel fermé déterminé. Cf. P. M. Périer, art. cité, p. 273-274 ; Van de Woestyn, op. cit., p. 207 ; A. Zacchi, op. cit., p. 293-294. Or, le monde que nous voyons ne constitue

pas un système fermé, car en dehors de lui il y a des esprits — la raison naturelle doit au moins en admettre la possibilité — et il y a Dieu : l’action de Dieu et des esprits dans le monde tout en étant mystérieuse, n’en c st pas moins réelle. Il est du reste possible d’entendre l’adage « rien ne se perd, rien ne se crée », en ce sens qu’aucune apparition et aucune destruction d’un être ou d’une énergie matérielle ne se produisent dans le cadre des activités des créatures, ce qui est en conformité absolue avec la métaphysique thomiste. La loi en question vise les transformations de l'énergie existante ; elle n’a rien à voir avec la question de l’origine de celle-ci. En d’autres mots, de quel droit prête-t-on « au postulat de la conservation de l'énergie les allures d’une loi rigoureusement vérifiée partout et radicalement exclusive de toute espèce de contingence » ? J. de Tonquédec, op cit., p. 70.

D’autres estiment que la loi de la conservation de l'énergie n’est qu’approximative et « approchée ». Pour le développement de ces idées, voir Van Hove, op. cit., p. 200 sq.

Troisième aspect. — On n’a jamais constaté un miracle ; donc, le miracle est inadmissible. Singulier raisonnement 1 Tout d’abord, réservons la question de la « constatation du miracle ». On en parlera plus loin. Admettons provisoirement qu’il n’y a jamais eu de miracle scientifiquement constaté. Peut-on en inférer que le miracle est inadmissible ? J. de Tonquédec remarque avec raison que c’est un sopliisme de proclamer, parce qu’on n’a pas rencontré le miracle dans le laboratoire, qu’on ne peut le rencontrer dans le sanctuaire. Op. cit., p. 70. « On ne rencontre pas le miracle dans le laboratoire ; cela prouve tout simplement que le miracle, phénomène exceptionnel, n’appartient pas au domaine scientifique. Mais c’est un sophisme grossier que de conclure à l’impossibilité ou à l’inconcevabilité de phénomènes rares, du fait que dans un domaine bien limité on n’en a jamais constaté. Ce qui est vrai a fortiori, quand ces phénomènes rares, comme c’est le cas pour le miracle, appartiennent précisément à un autre domaine. Si une expérience prolongée n’a pas découvert des exceptions — disons plutôt : des précisions insoupçonnées — - à une loi qu’elle croit avoir définitivement établie, il n’en résulte pas qu’elle n’en découvrira pas à l’avenir, et encore moins qu’elles sont inexistantes ou impossibles. Et si l’on nie le miracle uniquement parce qu’on n’en a jamais constaté, il faut au même titre nier que l’on puisse découvrir de nouveaux faits d’ordre naturel. Que de fois pourtant n’a-t-on pas dû admettre l’existence de faits qui paraissaient à première vue en opposition radicale avec les conclusions prétenduement les mieux établies de la science. » Van Hove. op. cit., p. 206. Cf. L. Lescœur, La science et les faits surnaturels contemporains. Les vrais et les finir miracles, 2e édit., Paris, s. cl.

c) Instance de Stuart MM. — Pour renforcer l’argument tiré de l’induction, Stuart Mill prétend que l’intervention divine est improbable, vu le genre de preuves qu’on en pourrait donner. En effet, d’une part, sa possibilité et son exercice ne se fondent que sur une « inférence spéculative », c’est-à-dire un raisonnement métaphysique ; d’autre part, l’enchaînement régulier des phénomènes selon les lois de la nature est objet d’expérience constante : « Si nous avions le témoignage direct de nos sens pour un fait surnaturel, on pourrait le constater et le rendre aussi certain que tout fait naturel. Mais ce témoignage nous fait toujours défaut. Le caractère surnaturel du fait est toujours… matière d’inférence ou de spéculation. » Essai sur la religion. Le théisme, 4° partie, tr. Cazelles, p. 219. De plus, l' inférence qui conclut au miracle n’est aucunement solide : elle se heurte à