démonstration catholique - La démonstration de la possibilité du miracle, dans sa partie proprement spéculative et théologique, n’a pour ainsi dire pas fait de progrès depuis saint Thomas, qui lui a donné sa forme parfaite. Cf. Contra Génies, t. II, c. xxixxxx ; t. III, c. xcvm-xcix ; De potentia, q. vi ; Sum. Iheol., I a, q. cv, a. 6.
Dans ce dernier endroit, le Docteur angélique donne un résumé de toutes les démonstrations prises soit des attributs divins, soit du fait que les lois naturelles ne sont pas absolument nécessaires.
Si nous considérons l’ordre des choses selon qu’il dépend « le chacune des causes secondes, à l’entendre ainsi, Dieu peut agir en dehors de l’ordre des choses. C’est qu’en effet Dieu n’est pas soumis à l’ordre des causes secondes ; c’est, au contraire, cet ordre qui lui est soumis, comme provenant de Lui, non par nécessité de nature, mais au gré de sa volonté. Si, en effet, il l’avait voulu, il aurait pu établir un autre ordre de choses. Il s’ensuit qu’il peut agir en dehors de cet ordre établi, selon qu’il lui plaira ; et, par exemple, Dieu peut produire les effets des causes secondes sans ces causes, ou encore produire certains effets auxquels les causes secondes ne peuvent atteindre. Trad. Pègues, Commentaire littéral, t. v, p. 322,
L’argumentation de saint Thomas revient à ce syllogisme : La cause libre suprême, dont dépend l’application des lois hypothétiquement nécessaires, et qui n’est pas Ile-même soumise à ces lois, peut agir en dehors d’elles. Or, Dieu est la cause libre toutepuissante, dont dépend l’application des lois hypothétiquement nécessaires, qui constituent l’ordre de l’activité de toute la nature créée, et la liberté divine n’est point enchaînée à cet ordre. Donc Dieu peut faire quelque chose en dehors de l’ordre de l’activité naturelle de toutes les créatures ; c’est-à-dire il peut faire des miracles. Garrigou-Lagrange, De revelatione, t. ii, p. 49. Nous résumons ici l’argumentation du théologien dominicain.
1. La cause libre suprême, dont dépend l’application des lois hij pathétiquement nécessaires, et qui n’espas elle-même soumise à ces lois, peut agir en dehors et audessus de ces lois. — Proposition dont la vérité éclate soit a priori, soit a posteriori. A priori, par l’analyse des concepts qui sont ici en présence. La cause libre dont dépend l’application des lois hypothétiquement nécessaires n’est pas obligée d’appliquer ces lois. Elle peut les appliquer ; elle peut s’abstenir de les appliquer : d’où, à leur endroit, liberté d’exercice parfaite. Elle peut également agir en un sens différent de ces lois, puisqu’elle ne leur est point soumise. D’où, liberté de spécification. Sur la liberté d’exercice ou de contradiction, et la liberté de spécification, voir Libfuti, t. ix, col. 661. Ainsi, « le cours et l’ordre des choses proviennent totalement de Dieu, non par nécessité de nature, mais par un décret de sa volonté ; Dieu ne leur est soumis en aucune façon et sa puissance n’est pas mesurée par eux. Il n’y a aucune nécessité à ce que les choses soient (liberté d’exercice), et à ce qu’elles soient ce qu’elles sont (liberté de spécification). S’il l’avait voulu, Dieu aurait pu instituer un autre ordre ; c’est au même titre qu’il peut changer l’ordre actuellement existant : dans sa première origine et dans sa conservation, le monde dépend égale ment du bon plaisir divin. » Van Hove, op. cit., p. 118, se référant à Sum. theol., I a, q. xxv, a. 5 ; q. cv, a. 6 ; III", q. xxviii, a. 1, ad 1° m ; In /V" m Sent., t. III, dist. XVI, q. i, a. 3 ; t. IV, dist. XI.VIII, q. ii, a. 1, ad 2° m ; Contra Cent.. I. II, c. xxii ; t. III, c, xcvmcix ; I)e potentia, q. i, a. 3, ad 8°'" ; q. vi, a, 1, ad 12° m : De veritate, q. xxvii, a., ' ! ; Camp, thcol., i, c. cxxxvii : Responsto ad mag. Joannem de Vercellis, a. l. Ainsi, d’après saint Thomas et la théologie catholique, les nécessités qui gouvernent l’ensemble des choses créées et Unies ne peuvent être transposées dans le
plan de l’infini. Ce qui est nécessaire quand on considère les rapports des causes secondes entre elles, ne l’est plus quand on considère le rapport entre l’ordre créé et le créateur.
De ces vérités, le P. Garrigou-Lagrange donne quelques illustrations a posteriori, tirées d’exemples choisis par saint Thomas lui-même. L’homme projette librement une pierre dans le sens de la hauteur. Il agit ici en dehors de la loi hypothétiquement nécessaire de la pesanteur et de l’attraction vers la terre. L’artiste qui fait vibrer les cordes de son instrument obtient un effet supérieur à ce que l’instrument par lui-même pourrait donner. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. cv, a. 6, ad lum ; Comp. theol., i, c. civ.
2. L’ordre de l’activité de toute la nature créée est constituée par des lois hypothétiquement, non absolument nécessaires. — L’hypothétiquement nécessaire, to I ; Û7ro0Éa£wç àvayxoùov, comme dit Aristote, Physique. t. II, c. ix, est ainsi expliqué par saint Thomas :
La nécessité se dit de multiples façons. On appelle nécessité, en effet, ce qui ne peut pas ne pas être. (Et c’est » d’abord, en raison d’un principe intrinsèque : soit qu’il s’agisse de principe matériel, auquel sens nous disons que tout composé d'éléments contraires doit nécessairement se corrompre : soit qu’il s’agisse du principe formel, comme si nous disions qu’il est nécessaire pour le triangle d’avoir trois angles égaux à deux angles droits. Cette nécessité est naturelle et absolue. D’une autre manière, il convient à un être de ne pouvoir lias ne pas être, en raison d’un principe extrinsèque, qui sera ou la fin ou l’agent. La fin, comme si quelqu’un ne peut pas obtenir ou réaliser une chose sans telle autre chose, soit qu’il ne le puisse pas absolument, soit qu’il ne le puisse pas aussi bien ; et c’est ainsi, par exemple, que la nourriture est dite nécessaire à la vie, ou le cheval nécessaire pour le voyage. Cette nécessité est la nécessité de la fin, qu’on appelle aussi parfois l’utilité. Il pourra convenir aussi à une chose de ne pouvoir pas ne pas être, en raison de l’agent ; comme si, par exemple, quelqu’un est contraint par un autre, en telle sorte qu’il ne puisse pas agir autrement. Cette nécessité est la nécessité de coaction. Sam. theol., P », q. lxxxii, a. 1, tr. Pègues, op. cit., t. iv, p. 556.
Ce qui est absolument nécessaire l’est donc toujours, indépendamment de toute hypothèse, et ne peut pas ne pas être. Il se fonde immédiatement dans l’essence de l'être. Le feu ne peut pas ne pas avoir la puissance de brûler ou de réchauffer, parce que cette puissance lui est une propriété intrinsèque. Ce qui est hypothétiquement nécessaire ne peut pas ne. pas être, si ses causes extrinsèques, efficiente ou finale, conservent leur influence normale. Ainsi, pour reprendre l’exemple du fèu, la brûlure se produira nécessairement, si aucune cause - cause première ou cause seconde, cause nécessaire ou cause libre, peu importe — ne vient empêcher l’exercice de la puissance de brûler : Si ignis sit calidus, necessarium est ipsum habere virtutem calefuciendi, tamen non necesse est ipsum cale/acerc ; eo qued ab extrinseco impediri potest. Cont. Cent., t. II, c. xxx. Or, l’ordre de la nature est constitué par les lois, lesquelles expriment le mode d’activité des êtres créés, c’est-à-dire le rapport, hypothétiquement nécessaire, de l’effet à la cause. La formule du déterminisme des lois de la nature doit donc être ainsi exprimée : les lois de la nature laissées à elles-mêmes, c’est-à-dire abstraction faite de l’intervention d’autres causes, sont constantes el invariables. Voir, sur ce point, Van Hove, op. cit.. p. 67-80 : L’ordre et les lois de la nature ; la nécessité et la contingence dans la nature.
3. Dieu est la cause libre toutepuissante, dont dépen I l’application des lois hypothétiquement nécessaires, cl qui n’est pas elle-même enchaînée <ï ces lois. - En premier lieu. Dieu est la cause libre, toute-puissante, des êtres. Nous n’insisterons pas sur la causalité divine : il s’agit ici surtout de rappeler que Dieu,