pose à la première grâce est lui-même un effet de la grâce prévenante, et donc de la prédestination. Cet argument, explique Molina, repose sur une équivoque f il y a motion et motion. Quand l’objet mû ne coopère avec le moteur que par la force qui lui est imprimée du dehors, toute l’action émane en réalité du moteur : ainsi la chaleur répandue par l’eau est un effet du feu qui la lui a communiquée. Mais quand l’objet mû agit, en outre, par sa force à lui, et ajoute à l’influx du moteur un influx qui lui est propre, il n’en est pas de même. Sans doute, toute l’action est un effet de l’agent principal ; mais, si on la considère précisément en tant qu’elle émane de la vertu propre de l’autre agent, il faut dire qu’elle est un effet de celui-ci ; surtout quand la coopération de ce dernier est nécessaire à l’action, comme c’est le cas ici. L’acte qui dispose à la première grâce n’est donc pas seulement un effet de la grâce prévenante, mais aussi de la volonté ; c’est pour cela d’ailleurs qu’il est libre, et que la grâce prévenante ne produit pas les mêmes effets chez tous ceux qui la reçoivent. (Ibid., memb. 10, p. 501-505).
6. Rapport de la prédestination et de la prescience de l’usage de la liberté. — Molina, interprétant Rom. vin, quos præscivit et prædestinavit… avait expliqué que la prédestination de l’adulte a été faite secundum preescientiam. Les modifications qu’il apporte à son texte primitif résultent seulement d’un examen plus détaillé du texte de saint Paul, et d’un appel à divers commentateurs en faveur de l’interprétation proposée. La seule addition significative atténue le secundum prœscienliam par l’explication id est non sine præscientia, expression déjà employée ailleurs par Molina (p. 524).
7. Rôle de la volonté libre dans la prédestination. — On a voulu faire dire à Molina que le bon usage de la volonté est cause de la prédestination ; non pas certes cause nécessaire et liant la volonté divine, mais cause convenable (causant congruentem), pour laquelle il a régulièrement prédestiné les uns et non les autres.
Molina s'étonne d’une pareille imputation, ui qui si souvent a montré : prædestinalionem non esse propter bonum usum liberi arbitrii prævisum, ne ut conditionem quidem sine qua non, sed prosola libéra voluntate Dei qui sua bona distribua proul vult et quibus vult. Il explique en ce sens les passages de la Concordia qu’on lui oppose ; et ce lui est une nouvelle occasion de rompre des lances contre les partisans des prédéterminations efficaces. « Loin d'être cause, même conyruens, de la prédestination, dit-il, le bon usage de la liberté est un effet de la prédestination, parce qu’il émane principalement de la grâce ; mais cela n’empêche pas la volonté de concourir à cet effet » (q. xxiii, a. 4 et 5, disp. 1, memb. 12. p. 528-539).
8. Grandeur relative des grâces prévenantes.
Un savant a demandé à Molina quelle grâce doit en définitive être dite plus grande et meilleure : une grâce moindre qui sera efficace, ou une grâce plus importante qui sera inefficace ; par exemple, la grâce donnée à Lucifer ou celle donnée au dernier des anges prédestinés ?
La réponse est simple : la grâce donnée à Lucifer a été beaucoup plus grande que l’autre, et pour cette raison, il faut dire que Dieu a plus aimé Lucifer, d’une volonté antécédente ; mais, si l’on tient compte de l’ensemble des prévisions et des volontés divines, il faut dire qu’absolument parlant il a aimé davantage le dernier des anges (q. xxiii, a. 4 et 5. disp. III, p. 557-561).
Tels sont les enseignements que nous apporte l'édition de 1595. Ils contiennent des précisions utiles, ils n’ont guère apporté de modifications sensibles à la doctrine de Molina.
IV. LES CONGRÉGATIONS « DE AUXILIIS ». —
On appelle ainsi diverses assemblées, congrégations, qui
se tinrent à Rome, sur l’ordre de Clément VIII, pour
examiner et discuter la Concordia de Molina. Il y en
eut deux séries : les premières furent présidées par des
cardinaux ; les autres par des papes. Leur histoire est
racontée de façon assez différente, surtout en ce qui
concerne l’explication des faits, par les jésuites et
par les dominicains. Il ne saurait être question de la
reprendre ici en détail ; d’autant qu’un exposé définitif
ne sera possible qu’après la publication d’une foule
de documents demeurés jusqu’ici inédits. On se contentera d’en retracer brièvement les grandes lignes,
qui sont d’ailleurs bien connues.
I. Les congrégations
présidées par des cardinaux.
II. Les congrégations
présidées par le pape (col. 2159).
I. Les congrégations présidées par des cardinaux. —
1° Préparation. —
L’idée de ces conférences devait sortir assez naturellement du fait que les deux ordres rivaux avaient à Rome des défenseurs, et du fait que le pape avait, évoqué devant lui leur querelle. Dès novembre 1596, les dominicains avaient envoyé à Rome l'élève préféré de Rafiez, le castillan Diego Alvarez (voir Alvarez, t. i, col. 926). Les jésuites y avaient l’italien Rellarmin, qui s'était illustré par ses cours de controverse au Collège romain et avait pris la succession de Tolet, au début de 1597, comme théologien de Clément VIII (voir art. Rellarmin, t. ii, col. 562 et 565).
Mais, pour le moment, la situation des dominicains à Rome paraissait assez favorable : le confesseur du pape, l’oratorien Raronius, avait pour eux d’activés sympathies ; et l’un des amis préférés du pape, le cardinal Ronelli, qui exerçait une influence considérable sur le monde romain, était membre de leur ordre (voir Dict. d’hist. et de géogr. ecclés., au mot Alexandrin). Ils voulurent en profiter.
On se souvient que la controverse s'était pour ainsi dire cristallisée autour d’un point central : la question de la grâce suffisante et de la grâce efficace, et que c'était précisément cette question que le pape avait évoquée devant lui. Sans attendre qu’il fût saisi des mémoires demandés en Espagne, Rafiez lui fit remettre par Alvarez, en juin 1597, un acte d’accusation contre la Concordia de Molina, en le pressant de soumettre le livre à une commission de censeurs. Clément VIII céda et nomma une commission d’examen, au début de novembre 1597. Elle comprenait huit membres et trois suppléants, parmi lesquels des franciscains, des carmes, des augustins, un servite, un bénédictin et un séculier, docteur en Sorbonne (voir la liste dans Schneemann, Controversian iii, p. 249).
2° Première période : la première commission (1598) ;
censure de la Concordia. — 1. Première session.
Les censeurs tinrent session du 2 janvier au 13 mars 1598, sous la présidence des cardinaux Madrucci et Arrigoni.
Ils firent d’abord la remarque que Molina reconnaît avoir imaginé une manière nouvelle de concilier la grâce et la liberté, et la considère comme si certaine qu’il n’hésite pas à affirmer que, si elle avait été donnée toujours, le luthéranisme et le pélagianisme ne seraient pas nés (ils avaient négligé le forte qui ôte à cette conclusion son caractère catégorique. Éd. d’Anvers, p. 387 ; réimpression de Paris, p. 548). Puis, ils examinèrent successivement les quatre principes sur lesquels l’auteur lui-même fait reposer sa doctrine (q. xxiii, a. 4 et 5, disp. I, memb. ult., p. 548549. Voir plus haut, col. 2133 sq.). Onze séances leur suffirent pour se convaincre que « la doctrine de Molina sur la grâce et la prédestination est expressément contraire à celle de saint Augustin et de saint Thomas » et « identique en plusieurs points à celle