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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/423

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ESSAI DE SYNTHÈSE

doivent être exposées et réfutées pour’elles-mêi Mais il nous reste à exploiter les résultats de notre enquête d’une manière positive. Il y a lieu en efï< I de critiquer ces données de rail par une analyse rationnelle, afin d’en dégager la loi explicative. C’esl à cette tâche que l’on veul maintenant se livrer, dans l’esprit

de la philosophie thomiste.

VIL Essai de synthèse. L’enseignement catholique que nous axons exposé, les erreurs libérale el socialiste que nous avons rappelées, se réfèrent manifestement a une nol ion pari ieuliere de la propriété, a la notion que l’on s’en fait de noire temps, dans notre type de civilisation. Cela se conçoit : l’Église enseigne des fidèles concrets et réels, en hutte à des difficultés

définies et exposés à des tentations dé I crin i nées par les circonstances ; d’autre pari, les erreurs ne prennent corps et ne se propagent que si, dans le milieu, elles rencontrent des résonances favorables.

Cependant, le devoir du théologien comporte d’autres exigences. S’il ne veut pas se borner à prendre parti dans les disputes de son temps, à distribuer blâmes el éloges, s’il veut servir la vérité et se rendre plus vraiment utile à tous, il doit faire un effort de sagesse et d’organisation supérieure. Pour cela, l’important est moins de dépister les sophistnes et de dénoncer les erreurs, que de mettre la vérité dans tout son jour, en la débarrassant des représentations éphémères sous lesquelles chaque époque l’accommode à ses goûts et à ses besoins. Cette tache est urgente en ce qui concerne la doctrine de la propriété, particulièrement mêlée aux mouvements sociaux et prompte à en refléter les influences contingentes. Le théologien s’efforcera donc de dégager le mécanisme essentiel de cette institution sans se laisser décevoir par les figures si variées qu’elle offre à l’observation superficielle au sein des diverses sociétés. Certes, il n’a pas à imaginer, à construire, mais à observer cette réalité sociale, avant de lui faire une place dans sa synthèse. Et c’est pourquoi nous avons réuni dans la section précédente une gerbe de faits empruntés à la sociologie descriptive et à l’histoire sociale, afin d’effacer les idées trop étroites de la propriété qui nous ont été enseignées par le milieu social déterminé où nous vivons. Mais, sur ces données d’observation, il convient que le théologien exerce son sens critique pour en négliger les caractères particuliers et changeants, pour en retenir les éléments essentiels et donner ainsi à son œuvre scientifique une valeur universelle et durable. Un tel travail, à notre connaissance, n’a pas encore été accompli ; il ne pouvait d’ailleurs être tenté avant les récents progrès de la sociologie. Ce sont les résultats de cette science que nous essaierons d’assimiler théologiquement en insérant la notion sociologique de propriété dans le cadre synthétique offert par la II a —II’E, q. lxvi, a. 1 et 2.

l°jLe pouvoir préjuridique de l’homme sur les clioses. — Lorsque l’on parle du droit de propriété, on vise tantôt, au sens précis, le droit lui-même et tantôt, au sens large, la réalité objective que le droit sanctionne sur le plan social, en lui attribuant une valeur juridique. Ce donné préjuridique offre par lui-même un immense intérêt aux yeux du philosophe et du théologien ; il n’est pas autre chose en effet que le libre pouvoir exercé par l’homme sur les choses extérieures. Il convient de l’analyser.

1. La relation de personne à ehose.

C’est une relation de l’homme aux choses. A cet égard, il existe dans bien des cas une relation de pur fait : relation purement mécanique de l’être humain au sol qui le porte, relations physiques et chimiques du corps au soleil qui l’échauffé et le vivifie, à l’air qu’il respire, à l’eau de la source qui le rafraîchit, à la pression atmosphérique qui le tient en équilibre interne et externe. A ne considérer que ces sortes de relations, l’être humain se com porte ue tout point comme un simple animal, comme un végétal, et il est même le siège de mouvements chimiques, physiques et mécaniques analogues a ceux qui peux eut survenir en des corps inanimés. Déjà, l’on peut voir comme une ébauche d’appropriation, dans

le fait que l’être humain s’assimile de façon exclusive diverses réalités extérieures, de même que le grain de blé caché dans le sillon s’approprie, en un certain sens, l’eau et les sels de la terre, (.(pendant, il n’yapas encore de véritable relation de personne à chose ; tout se passe de ehose a chose, l’être humain étant considère jusqu’ici comme une chose.

Pour qu’il y ait vraiment relation de personne à ehose, il faut que ces rapports de pur fait entrent dans la mouvance de la volonté humaine, affleurant par là même au plan de la moralité. C’est précisément parla rationalité, dont la volonté libre est l’expression, que l’être humain est constitué personne, et c’est dans la mesure où l’on se met consciemment et volontairement en rapport avec les choses, que l’on peut parler de relation de personne à chose. Or, nouer ainsi des relations volontaires avec les choses, c’est précisément en user. Avec le volontaire, avec l’usus qui entraîne les choses extérieures dans la mouvance du vouloir, on se trouve dans le domaine de la moralité ; tout usus est justiciable de la distinction morale du bien et du mal ; tout usus est susceptible de régulation vertueuse ou de corruption vicieuse. Le premier mot de la science morale ne consiste-t-il pas à définir le sujet humain comme une personne, un être per se potestativum, créé à l’image et à la ressemblance divines, doué de raison et de libre arbitre : ces traits dressent la personne en face de l’univers des choses. La nature des personnes et celle des choses donnent aux premières vocation à l’usage des secondes.

2. Relation de droit naturel.

En un certain sens, qui demeure métaphorique, on peut dès maintenant parler d’un droit de la personne sur les choses. La relation que nous étudions entre la personne et les choses, par exemple la contemplation par l’homme du spectacle de la nature, le travail de la terre, la consommation d’un aliment, en devenant un usus sur le plan volontaire et moral, reçoit en effet, par métaphore, des dénominations empruntées à l’ordre juridique.

Parce que l’usage des choses par les personnes satisfait le vœu de la nature chez celles-ci comme chez celles-là, on peut dire, sans métaphore, que cet usage est correct, juste, droit. On entend par là quecet usage, sur le plan de la moralité, est conforme à la nature et conduit les personnes comme les choses à leur fin. Mais volontiers on dit plus, et il convient de noter que l’on verse dès lors dans la métaphore, car on se sert de termes empruntés à la technique du droit pour exprimer des réalités préjuridiques. A raison de circonstances contingentes d’ordre historique et social surlesquelles il est superflu de s’appesantir, mais qui exercèrent sur le développement des théories morales une influence incontestable, le monde des mœurs fut étudié, notamment depuis les stoïciens, en fonction et comme sur le modèle du monde politique. Et cela sur deux plans : d’abord sur le plan cosmique, parce que l’on prit l’habitude de concevoir l’univers à la façon d’une monarchie unitaire et strictement hiérarchisée, sur le pied d’un vaste empire. Dès lors, l’enchaînement des causes et des phénomènes se présentait comme une loi, l’ordre des activités naturelles se ramenait à celui de l’obéissance et de l’infraction ; la rectitude morale, fondée sur la nature, s’exprimait par des traits empruntes au droit ou à la justice civique. D’autre part. sur le plan microcosmique, parce que l’homme, considéré à son tour comme un petit univers complexe et hiérarchisé, lit lui aussi dans la doctrine figure d’État politique, on voyait en lui un gouvernement central, la