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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/429

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    1. PROPRIÉTÉ##


PROPRIÉTÉ. ESSAI DE SYNTHÈSE

l’ait de quelques uns, les autres j aidant par leurs services. D’où il suit que l’appropriation <le fait, en

tant que la postule l’usage d’élaboration, se— irons i gaiement répartie. Le seigneur du domaine ou le < hel d’industrie détiennent eu leur pouvoir exclusii îles masses importantes de ressources naturelles, dont ils s’efforcent de multiplier les utilités. A côté d’eux, le serf ou le prolétaire ne possèdent quasi rien sur quoi ils exerceraient leur pouvoir de procuratio et dispensalio.

Saint Thomas ne proteste pas contre cette inégalité. S’il lui semble naturel et nécessaire que tout homme exerce, dans la mesure de ses besoins, l’usage d’application en consommant les utilités existantes, il ne lui paraît pas naturel au même degré, ni rigoureusement nécessaire que tout homme s’emploie à l’usage d’élaboration en produisant des utilités, ou que ceux qui s’y livrent le fassent tous sur un pied d’égalité. Il y a entre les hommes des inégalités naturelles en ce qui concerne leur capacité d’élaboration féconde ; la société y ajoute d’autres différences qui ne sont pas toutes illégitimes ; il est normal que l’organisation de la production s’en ressente et s’en inspire. L’essentiel est que les utilités ainsi élaborées, quelque régime économique et social que l’on admette, aillent toutes à leur destination naturelle, c’est-à-dire servent à l’usage d’application ou à la consommation définitive dont nul homme ne peut être exclu. Il est vrai que le régime de production ne sera pas sans influence jusque sur cette orientation de la consommation et il faut s’attendre que, suivant les conjonctures, selon l’état des mœurs privées et publiques, tel régime qui avait fait ses preuves se révèle par la suite inefficace et fasse obstacle à Vusus commun. C’est affaire d’appréciation concrète, d’aménagement positif ; le théologien doit se garder de toute opposition de principe à rencontre d’une évolution qui permettra peut-être de mieux satisfaire les exigences essentielles, les seules imprescriptibles, de la consommation.

Le droit positif de propriété.

Nous avons délibérément

écarté jusqu’ici la considération du droit de propriété proprement dit, nous tenant au plan préjuridique. Cependant, l’usage des choses par l’homme, tel que nous l’avons analysé, comme une donnée psychologique et sociale, comme une matière à moraliser par la pratique de nombreuses vertus, constitue en même temps une donnée pour la construction juridique. Et c’est seulement au terme de cette construction, c’est après l’information juridique de cette matière, que se réalise le droit de propriété. Nous ne pouvons donc nous dispenser de signaler cette dernière étape.

1. L’élément formel du droit de propriété.

L’usage d’une chose par une personne est un fait intéressant le sociologue, l’économiste, le moraliste. Ce n’est pas encore un droit, mais une matière qui peut être juridiquement informée. La forme juridique se manifeste par certains procédés techniques, par un formalisme aux exigences variées, plus ou moins compliquées et plus ou moins rigides. Mais il y a lieu de distinguer entre la forme elle-même, réalité simple et constante, et les formalités accidentelles qui révèlent et manifestent extérieurement la présence de la forme. Celle-ci consiste essentiellement dans un ordre impératif, œuvre de raison, intimé par la société, et assumant sur le plan juridique, avouant comme sienne telle matière donnée. Peu importe assurément l’organe qualifié pour prononcer cet impératif au nom de la société. En définitive, c’est celle-ci qui se prononce et qui donne valeur juridique positive à ce qu’elle agrée et sanctionne. L’ordre conçu par le prince, par le parlement, par le peuple, exprimé par le décret, par la loi, par le référendum ou par la coutume, se réalise dans les relations sociales, modifie quelque chose dans les rapports

entre les individus et la société ou entre les individus en tant que membres de la société. Ces relations ainsi établies ou modifiées sont elles troublées par un fait illicite. L’impératif social pèse sur le délinquant et réagit par une sanction, de façon < restaurer l’ordre lésé. On n’a pas à insister sur cette thèse générale, a montrer que l’impératif juridique, œuvre de raison, n< confond pas avec l’arbitraire, ni à rappeler que cet impératif a une valeur morale, non pas essentiellement à raison de son contenu, dont la teneur peut souvent laisser la morale indifférente, mais précisément en tant que tel, car l’impératif juridique supporte l’ordre social que notre nature postule ; par le bien commun, toute prescription juridique se trouve donc conforme au devoir être moral, expression de notre être. On peut supposer cela admis.

2. Le contenu positif du droit de propriété.

Nous avons déjà noté que le donné préjuridique en matière d’appropriation est d’étendue variable, selon les conditions concrètes de la vie sociale. On peut s’attendre à des variations analogues en ce qui concerne le contenu du droit de propriété. Mais tout le donné n’est pas assumé juridiquement, et ce qui en est assumé ne l’est pas précisément parce qu’il est donné, et enfin le contenu du droit accueille des éléments qui ne sont pas donnés.

Toutes ces différences tiennent au caractère spécifique du droit, dont l’impératif ne vise pas à réaliser le mieux possible les exigences de la morale, mais à établir le mieux possible la vie en société. Il suit de là que l’impératif juridique ne s’intéresse positivement et n’accorde sa sanction qu’aux actes et aux relations ayant un rapport au bien commun, c’est-à-dire aux conditions de l’ordre social, et qu’il ne les assume que dans la mesure où cela convient à l’établissement et au maintien de cet ordre. Il est clair que, par le biais de la justice sociale, toutes les vertus concourent au bien commun ; mais il n’est pas sûr que leur réglementation juridique y concoure en tous les cas. Ainsi, certaines immoralités, plus spécialement anti-sociales, sont-elles réprimées par la loi ; d’autres, qui ne sont pas pour cela moins graves au point de vue moral, ne le sont pas. Par ailleurs, l’impératif juridique va chercher son bien en dehors des catégories morales et il l’y trouve souvent, puisque des prescriptions de caractère purement technique, sans espèce morale, peuvent servir le bien commun.

Il est aisé d’appliquer ces notions au cas spécial de la propriété. La forme juridique essentielle de ce droit, consistant en une reconnaissance et une sanction socialement autorisées de l’usage des choses par l’homme, n’affecte pas tous les éléments que nous avons analysés au plan préjuridique. Seuls sont retenus ceux qui intéressent spécialement le bien commun ou l’ordre général de la société. L’usage d’application, sous lequel on range les faits de consommation, la libre jouissance des ressources naturelles, la faculté d’aller et de venir, de respirer, de contempler, de s’instruire, ne comporte aucune réglementation de principe ; ce sont des droits fondamentaux que l’on reconnaît juridiquement sous le nom de libertés personnelles. Et, cependant, la consommation et le libre usage des biens naturels se voient limités parfois, sur des points précis, pour des raisons d’ordre social ou public (interdits alimentaires, lois somptuaires, réglementations de police relatives au logement, à la circulation, etc.). Il est certain que la réglementation doit être discrète, et elle l’est généralement ; mais on ne peut l’exclure absolument.

Quant à l’usage d’élaboration et au pouvoir de libre disposition (procuratio et dispensalio) qui lui est inhérent et nécessaire, ce sont là des activités que l’autorité sociale est tenue de réglementer plus minutieusement. On voit sans peine le rôle considérable que