Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/519

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

L023

PHOVIDENCI

l’HUDKNCE

1024

divin ; à plusieurs reprises, il est dit : Celui qui croil en moi a la vie éternelle. Joa. iii, 36 ; vi, I0, 47, c’est à-dire : celui qui croit en moi dune loi vive, unie ; i

l’amour de I tien, ; i lu vie éternelle commencée, puisque

lu grâce et la charité ou amour de Dieu ne doivent pas finir. Cf. Joa., viii, 51 ; xi, 25 sq. ; xvii, : î, 2 l ; et l Joa.,

m, 2 : « Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ; mais nous savons que, lorsque ce s( ra manifesté, nous serons semblables a Dieu parce que nous le Mirons tel qu’il est.

Saint Paul ne parle de façon différente : Aujourd’hui nous voyons (Dieu) dans un miroir, d’une manière obscure, énigmatique, mais alors nous le verrons face à face ; je ne connais maintenant Dieu qu’imparfaitement, mais alors je le connaît rai comme je suis moi-même connu de lui. » I Cor., xiii, 12.

Alors, les voies insondables de la Providence s’éclaireront, nous verrons comment se concilient intimement les deux principes dont nous parlions plus haut : d’une part, < Dieu ne commande jamais l’impossible » ; d’autre part, « nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu ».

Nous verrons l’intime conciliation de ces principes parce que nous verrons comment s’identifient, sans se détruire, dans la Déité, l’infinie justice, l’infinie miséricorde et la souveraine liberté. Dans cette lumière de Dieu, nous adorerons tous les décrets de sa providence ordonnés à la manifestation de sa bonté, et nous nous subordonnerons pleinement à lui.

La bibliographie relative à la question de la Providence serait évidemment des plus étendues, même si elle voulait noter seulement les principaux ouvrages, dont plusieurs ont été cités au cours de cet article. Nous ne l’entreprendrons pas, car rien n’est plus facile que de trouver dans leurs oeuvres ce qu’ont dit sur ce sujet les grands théologiens là où ils en parlent ex professo, et ce qu’ont écrit leurs principaux commentateurs et les théologiens plus récents dans leurs traités de dogmatique.

R. Garrigou-Lagrange.


PRUDENCE. —
I. Nécessité de la vertu cardinale de prudence.
II. Nature de la prudence (col. 1021).
III. Les phases du discernement prudentiel (col. 1027).
IV. La prudence vertueuse (col. 103).
V. La prudence surnaturelle (col. 1056).
VI. La prudence dans la phase délibérative du conseil (col. 1040).
VII. La prudence dans la phase résolutoire du jugement (col. 1046).
VIII. La prudence dans la phase impérative des réalisations (col. 1 050).
IX. Le manque de prudence (col. 1058).
X. Les fausses prudences (col. 1006).
XL Les diverses espèces de prudence (col. 1071).

I. NÉCESSITÉ DE LA VERTU CARDINALE DE PRUDENCE.

— Pour saint Thomas, la vertu cardinale de prudence est « la vertu la plus nécessaire à la vie humaine ». Le présent article va s’appliquer à justifier cette singulière affirmation en faisant voir, dans la prudence, le bon génie du gouvernement de nous-mêmes, le vertueux discernement de notre conscience, la cheville ouvrière de notre moralité.

Quand nous nous regardons agir, nous voyons que nos actions sont en correspondance avec des buts vers lesquels elles tendent. Si, dans ce dynamisme de tous les instants, nous faisons intervenir, comme nous le devons, le point de vue moral, nous nous apercevons que notre raison superpose, en face de nos désirs et de nos vouloirs, des réglementations et des lois, d’après lesquelles elle juge nos actions comme bonnes ou mauvaises, comme devant être accomplies ou écartées. NotTe moralité est circonscrite entre ces deux extrêmes : d’une part, les normes morales, les fins vertueuses : d’autre part, nos actions pratiques, multiples et complexes, qui doivent s’y conformer. Si nous agissons sans que notre raison prenne garde à cette conformité, nous agissons à la manière de l’animal, qui suit l’impulsion de son instinct, sans ce contrôle intelligent qui est l’apanage des natures douées de raison ; tout au plus agissons nous comme les passionnés, qui s’aveuglent volontairement sur l’obligation des lois morales et ne veulent suivre en leurs actions que la logique de leurs convoitises. L’homme moral agit par choix délibéré ; il maîtrise son action par un discernement qui rend celle-ci tributaire de buts vertueux, acceptes comme obligatoires. Mais ce discernement et ce choix ne vont pas tout seuls. On ne passe point aisément des intentions générales aux actions concrètes. Un hiatus existe entre ces deux extrêmes, entre les lois morales, rigides, intangibles et la mobilité fuyante des actes courants, engagés tous et chacun dans les variables circonstances qui forment la trame de la vie humaine. L’animal ne dispose que d’un petit nombre d’opérations qui conviennent à son espèce et dont le jugement est préformé dans son instinct. Mais l’homme, par son âme intelligente, dont la vertu s’étend pour ainsi dire à l’infini, doit chercher son bien et réaliser son bien moral à travers une multitude sans nombre d’activités diverses et diversement circonstanciées. Il doit établir la soudure entre les fins générales auxquelles il aspire et la mobilité incessante et multiforme de ses actes, puisque aucun d’eux ne sera moral et vertueux que par son accord avec les intentions morales et vertueuses.

Quel peut être cet intermédiaire lumineux entre la fin et les moyens, entre les règles morales et les actions morales, sinon la raison, qui est en nous puissance de délibération, de comparaison et de rapprochement entre les réalités les plus diverses ? Seul, l’esprit peut « devenir toutes choses » pour juger de toutes choses. Le discernement moral de toute action, appréciée et dictée en conformité avec la volonté vertueuse, sera donc en nous œuvre de raison. La prudence est vertu de notre raison. Je dis vertu parce qu’il ne faudrait pas croire que l’esprit nu, l’intelligence pure, soit capable de cet universel discernement. Notre intelligence spéculative n’a-t-elle pas besoin d’être perfectionnée par de multiples sciences, péniblement acquises, pour connaître les réalités du monde ? De même, il faut à la raison pratique, pour diriger les actions humaines, de multiples perfectionnements, des qualités précises qui, en se réunissant, assureront son vertueux discernement. La perfection de la prudence est à ce prix. Au surplus, cette perfection vertueuse du discernement moral suppose la conscience solidement établie dans ses convictions morales et rectifiées vis-à-vis d’elle. Dans cette lumière du devoir et sous l’impulsion d’une volonté tout ardente à le pratiquer, la raison prudentielle procède à l’enquête et à la détermination des actions les plus aptes à ce but. Elle part des convictions morales pour éclairer la conduite ; elle recherche et juge, elle dirige et impose les réalisations vertueuses.

Notons le caractère de cette doctrine thomiste : avec la prudence, vertu de la raison, nous sommes en plein dans la vertu ; ce sont des qualités d’esprit qui garantissent en nous la moralité, et elles sont influencées elles-mêmes par la qualité de nos amours. Heureux mélange et parfait équilibre d’intellectualisme et de volontarisme. C’est par le bon usage de l’intelligence que l’on arrive à se gouverner humainement ; mais, d’autre part, l’intelligence n’est en mesure d’assurer cette bonne conduite de la vie que si elle est elle-même tout imbibée de bon vouloir. Par la prudence, l’esprit devient tout à fait vertueux et adonné à la vertu. Saint Thomas, Sum. theol.. I a -II*, q. lvii, a. 5 ; De virtutibus, q. i, a. 6 et 12.


II. Nature de la prudence.

La prudence est vertu de notre raison, mais de notre raison pratique. Au surplus elle présuppose la rectitude morale de notre volonté.