Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/532

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

9. U

RESTITUTION. POSSESSEURS DE MAUVAISE FOI

2478

a un bien, sachant qu’il est à autrui et non pas à lui. Ici entre en jeu une double raison de restitution : la détention d’un bien étranger et la damnification formelle. Nous dirons : les obligations et les droits du possesseur de mauvaise foi.

a. Obligations. — Elles sont relatives aux biens et aux fruits.

Relativement aux biens. — Si l’objet existe encore, le possesseur de mauvaise foi doit le restituer en vertu du principe Res clamât domino et cela avec toute son augmentation, intrinsèque et extrinsèque, parce que, lorsqu’une chose croît, c’est pour son propriétaire et non pour le possesseur de mauvaise foi. C’est pourquoi, si le bien d’autrui conservé de mauvaise foi a augmenté de valeur intrinsèque ou extrinsèque, il est à rendre tel quel, même si cette croissance n’eût pas pu être obtenue, ce bien étant resté entre les mains du maître légitime. Si la valeur intrinsèque a décru, il faut rendre le bien et de plus verser une compensation, au cas où la décroissance constatée est supérieure à celle qui se serait produite si l’ayant-droit avait conservé la jouissance de son bien.

Cette réparation de surcroît, qui est en rapport avec le degré de culpabilité effective du détenteur, ne saurait être exigée si la dépréciation n’est pas réelle, comme c’est le cas, lorsque la valeur vénale seule change tandis que la valeur intrinsèque demeure telle quelle, à moins qu’il ne soit avéré que le propriétaire aurait vendu son bien au moment où il valait le plus. Il est abusif, semble-t-il, de demander que la restitution soit faite d’après le prix de vente le plus élevé atteint par l’objet, car, en vertu de l’axiome res fructificat domino, la valeur extrinsèque croît ou décroit pour le propriétaire.

Si la chose a été consommée, le possesseur de mauvaise foi est tenu d’en restituer l'équivalent, sinon, il s’enrichirait d’un bien d’autrui et porterait un vrai dommage au propriétaire, car la restitution en justice commutative se fait à égalité. Autrement dit, il lui est imposé de compenser aussi le gain que le propriétaire n’a pas réalisé et de l’indemniser des pertes diverses subies.

Si l’objet n’est plus entre les mains du possesseur, celui-ci doit payer le prix fort dans la restitution si, pour parer à certaines nécessités de famille ou de sympathie, le propriétaire s’est trouvé dans le besoin de vendre un autre de ses biens, analogue à celui qui était injustement détenu au moment où ce dernier avait sa valeur vénale la plus élevée. Il en serait de même s’il y avait eu consommation par le délinquant, lorsque celui-ci a jugé en tirer le plus grand profit. S. Alphonse, t. III, n. 621.

Par ailleurs, le possesseur n’a pas à restituer l'équivalent au prix fort, s’il a consommé ce qu’il gardait injustement ou si le propriétaire l’eût utilisé ou perdu quand il n’avait qu’une valeur minime. Voir l’riiner, Théologie morale, t. ii, p. 424 ; Wouters, Manuale, t. i, n. 990. S’il y a des doutes sur le temps de consommation et donc sur la valeur que l’objet avait à ce moment-là, le débat se tranche, d’une manière générale, en faveur du propriétaire innocent. Ces données théoriques, qui laissent subsister des obscurités, sont parfois difficilement applicables. Aussi importe-t-il de faire appel en bien des circonstances à la composition.

Si le bien a péri fortuitement chez le possesseur, celui-ci peut en être considéré comme la cause injuste : il doit en rendre l'équivalent. Dans cette hypothèse, il est supposé, en effet, que le bien n’aurait pas péri s’il était resté entre les mains de son propriétaire. Des précisions sont cependant nécessaires.

Si, par suite d’un vice intrinsèque telle que la vétusté ou par un accident commun, la chose aurait péri en même temps chez le détenteur et chez le proprié taire, le détenteur ne serait tenu à aucune restitution, car il n’est pas cause efficace coupable du dam. Mais si la cause dedestruction n’existe pas simultanément chez le propriétaire et le détenteur, celui-ci contracte des devoirs de justice. Le bien mal acquis, par exemple, périt chez le détenteur injuste ; mais s’il fût demeuré chez le propriétaire, il eût péri antérieurement, dans un incendie si l’on veut. Le détenteur injuste doit néanmoins en restituer la valeur, car il est la cause coupable du dommage subipar autrui : s’il avait rendu, comme il le devait, ce qu’il gardait injustement aussitôt après l’incendie survenu chez le propriétaire, celuici aurait pu jouir de son bien et ne l’aurait pas perdu. L’obligation de restituer n’est pas éteinte non plus si l’objet supposé restitué eût été anéanti dans la suite chez le propriétaire, sauf si cet accident avait pu être prévu avec certitude.

Ces distinctions théoriques d’antériorité ou de postériorité ne semblent pas avoir d’importance pour tous les moralistes (Wouters, t. i, n. 989). car elles sont souvent difficiles à appliquer dans la pratique. La diversité des événements qui causent la perte : incendie, tremblement de terre, guerre, etc., retiennent davantage l’attention de certains auteurs. Pour eux, le possesseur de mauvaise foi, en conservant d’une manière injuste un bien d’autrui, l’a exposé pratiquement au péril et doit être considéré comme l’agent concret de la destruction. S. Alphonse, t. III, n. 620 ; Homo apost., tr. x, n. 79. Ce raisonnement est encore fragile, car la restitution ne saurait exister que s’il y a causalité efficace. L’accord n’existe donc pas entre les théologiens. En tous cas, si l’on s’en tient strictement au droit naturel il ne semble pas qu’il y ait lieu de restituer, car, selon l’axiome, res péril domino, à moins que la ruine ne puisse être imputée à une cause coupable.

Le droit positif a parfois des solutions différentes. Le Code civil français statue, en effet, à l’article 1302 : « De quelque manière que la chose volée ait péri ou ait été perdue, sa perte ne dispense pas celui qui l’a soustraite, de la restitution du prix. » Mais remarquons-le, cette disposition pénale n’est obligatoire qu’après la sentence judiciaire. En bien des circonstances il sera préférable de recourir à une entente entre les intéressés. Ce sera souvent le seul moyen qui permette de faire avec équité la restitution des fruits et de déterminer le montant des dépenses à compenser.

Relativement aux fruits. — Le possesseur de mauvaise foi doit rendre les fruits naturels qu’il a recueillis ou leur équivalent s’ils sont consommés, sinon le bien d’autrui l’enrichirait ; or, res fructificat domino. Mais, comme en réalité les biens consomptibles ne produisent pas de fruits, leur restitution est faisable sous forme d’intérêt de l’argent épargné et que le propriétaire aurait de fait perçu. Par ailleurs, le loyer d’un immeuble ou autre objet est à payer au propriétaire par le possesseur de mauvaise foi, meure si celui-ci n’a pas loué. Voir en des sens divers : Vermeersch, Principia, t. rr, n. 652 ; Lugo, disp. XVII, n. 58 sq. ; d’Annibale, Summula théologies, moralis, t. ii, p. 241 : Piscetta-Gennaro, FAemenlu theologiee moralis, t. rr, p. 411.

Pour ce qui est des fruits industriels, on n’est pas astreint à les restituer, car ils rrc sont pas considérés comme les produits du bien d’autrui : ils supposent l’activité personnelle. Ainsi, par exemple, celui qui expose tout l’argent qu’il a acquis malhonnêtement dans un jeu ou dans une affaire et qui en tire bénéfice n’est pas obligé de rendre ce gain.

Quant aux fruits mixtes, le possesseur de mauvaise foi ne restitue obligatoirement que ceux qui reviennent à la nature.

Si, par ailleurs, le possesseur avait été négligent, il devrait indemniser le propriétaire pour les fruits natu-