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SEMI-PÉLAGIENS. RÉPLIQUE DE s i r.i’STIN


séparés D’est pas sans Inconvénient (inconvénient encore accru par le fait que dans P. L., ils sont dans doux tomes distincts) ; il vaudrait mieux dire simplement : Ad Prosperum et lliliiriiun libri duo, les deux livres traitant respectivement l’un de Vinitium fidei, l’autre de la persévérance.

Il s’agit d’abord de mettre en sûreté le caractère surnaturel de l’adhésion première à la proposition de la foi : eette adhésion ne peut se produire que sous l’influence d’une grâce véritable, d’un don parfaitement gratuit que rien n’a mérité. Augustin, à la vérité, se défend de traiter en hérétiques ceux qui, sur ce point, ne pensent pas comme lui. Il aurait d’autant plus mauvaise grâce à le faire qu’autrefois il avait luimême cultivé une doctrine analogue : putarts fidem qua in Deum credimus non esse donum Dei, sed a nobis esse in nobis et per illam nos impetrari Dei dona. N. 7, col. 964. Sur ce point il s’est explicitement dédit dans ses Rétractations, et les frères de SaintVictor feraient bien d’imiter son geste. L’absolue gratuité du secours divin lui est apparue, telle une révélation divine, alors que, répondant à Simplicien de Milan, il s’efforçait de trouver dans le processus de l’acte salutaire une place, si petite fût-elle, pour la volonté laissée à elle-même : sed vicit gratia Dei. Il n’a pu échapper alors à l’extraordinaire clarté du mot de Paul : Quis te discernit ? Quid habes quod non accepisti ? N. 8, col. 966.

Comment en effet la foi, que l’Apôtre distingue si nettement des œuvres et à qui il attribue le salut, pourrait-elle être regardée comme autre chose qu’un don de Dieu ? C’est bien la doctrine du Nouveau Testament. Les actes de Corneille, auxquels se réfèrent si volontiers les partisans du mérite humain, n'étaient pas sine aliqua fide. N. 12, col. 970. Le Sauveur, dans l'Évangile, considère la foi que l’on a en lui, en sa dignité souveraine, comme un effet de l’attraction exercée par Dieu sur l'âme, action tout intérieure, dont Dieu seul a le secret, école admirable où le Maître, par ses procédés à lui, sait vaincre toutes les résistances, faire fléchir toutes les duretés : Valde remota est a sensibus carnis hsec schola in qua Deus auditur et docet. N. 13, col. 970. [Il faut lire ce magnifique développement sur le Maître intérieur » pour sentir tout ce qu’a de factice la construction laborieuse des gens de Saint-Victor.]

Reste évidemment la grosse question : « Pourquoi cette grâce est-elle donnée aux uns plutôt qu’aux autres ? » On s’attend bien que ce n’est pas l’objection marseillaise qui fera démordre Augustin de la conception à laquelle depuis trente ans il s’est rallié. « Pourquoi cette grâce n’est-elle pas donnée à tous ? », cette question n’a rien de troublant pour le fidèle qui sait que, par la faute d’un seul, tous sont sujets à une condamnation on ne peut plus juste. C’est une très grande grâce qu’un très grand nombre en soient libérés, plurimi liberantur, et reconnaissent dans les autres ce qui leur arriverait à eux-mêmes si Dieu n’avait pas eu pitié d’eux. Laissons le mystère planer sur les raisons pourquoi il a plu à Dieu de délivrer celui-ci et non point celui-là. N". 16, col. 972.

Et, d’ailleurs, deux cas bien concrets montrent combien intenable est la position des adversaires. D’une part la répartition de la grâce divine entre les enfants -ans raison, d’autre part la prédestination de l’homme assumé par le Verbe, Notre Seigneur Jésus-Christ. vec une sorte d’ironie, Augustin montre tout ce qu’il v a de factice, pour ne pas dire d’absurde, dans l’idée qu<- la grâce est donnée ou non aux enfants qui meurent avant l’usage de la raison, en considération de mérites ou de démérites simplement hypothétiques. N. 23-29. Et, par ailleurs, s’il est un cas ou nul mérite n’a précédé la prédestination, c’est bien celui du Christ. Ce cas particulier, absolument unique, où une

nature humaine concrète — disons comme Augustin un homme — est prédestinée à cette grâce des grâces qu’est l’union hypostatique, aide à mieux comprendre, par le caractère si éclatant de son absolue gratuité, la gratuité de la nôtre. Sans compter que c’est ici encore que l’on trouve le plus évident exemple d’un libre arbitre aussi parfait que possible et néanmoins incapable de pécher. C’est dans notre chef qu’apparaît le mieux ce qu’est la grâce et aussi le pourquoi de sa distribution : Ipsa est igitur prwdestinatio sanctorum, quæ in sancto sanctorum maxime claruil. N. 30 et 31.

Par ailleurs, ce n’est pas seulement au début du processus salutaire que se doit marquer la nécessité et l’absolue gratuité du secours divin ; la persévérance dans la grâce est, elle aussi, un don de Dieu. Tel est le thème du 1. II : De bono perseveranliæ. Que cette persévérance soit une grâce, la preuve en est qu’on la demande. Elle n’est point donnée selon les mérites de qui la reçoit : la miséricorde de Dieu l’accorde à certains, son juste jugement ne la concède pas à d’autres. Ce qui est vrai de la vocation, soit des adultes, soit des enfants, l’est aussi de la persévérance. Pourquoi estelle donnée à celui-ci, n’est-elle pas accordée à celuilà? C’est le jugement inscrutable de Dieu. N. 21, col. 1004. Il est bien certain toutefois que cette différence de traitement ne saurait être attribuée à des mérites ou des démérites hypothétiques. Cette idée que le bon sens repousse, il est vraiment extraordinaire que s’y soient réfugiés, pour échapper à l’absolue gratuité de la distribution des grâces, des gens qui ne veulent pas être pélagiens. Voici un baptisé qui succomberait à la tentation s’il arrivait à l'âge adulte ; Dieu le prend et le met dans son ciel. Pourquoi laisse-t-il sur terre tel autre qui est exactement dans les mêmes conditions et qui, pour avoir été laissé en vie, se damnera ? Mystère de la grâce de Dieul Avouons donc que la grâce de la persévérance finale n’est pas donnée selon nos mérites, mais secundum ipsius Dei secretissimam eandemque justissimam, sapientissimam, beneficentissimam voluntatem.

Non, cette doctrine de la prédestination n’a rien de funeste à la vie spirituelle ; il n’est rien de tel pour entraîner l’homme à l’humilité. Sans doute il y a la manière de la prêcher, mais quoi de plus encourageant que de dire aux fidèles : « Vous devez espérer que vous avez le don de la persévérance, vous devez ! e demander par vos prières quotidiennes et avoir confiance que vous n'êtes pas en dehors de la prédestination. Loin de vous l’idée de désespérer parce que l’on vous dit de mettre votre espoir en Dieu, non en vous. » N. 62, col. 1031.

Ainsi, loin de faire la moindre concession aux gens de SaintVictor, le docteur d’IIipponc saisissait l’occasion de montrer la cohérence de son propre système, son accord avec les définitions ecclésiastiques dirigées contre les pélagiens. Ni au début de la vie salutaire, ni au cours de celle-ci, il n’y avait de place pour l’an tarcie du vouloir humain, et cette considération ex cluait toute idée d’un mérite acquis par les seules forces de l’homme. Dès lors aussi il était vain de chercher du côté de l’homme les raisons de la distribution des secours efficaces de Dieu ; cette répartition ne pouvait s’expliquer que par les jugements pleins de bonté et de justice de la souveraine Providence. Avec une prudence qui fait contraste avec l’emportement que va montrer son disciple, Augustin évitait de poser ex professa la question de la volonté salvifique universelle. Sans doute elle était résolue pour lui et dans le sens que l’on a dit ; sous-jacente a toute son argumen talion, sa solution du moins ne s'étalait nulle pari Il est dis problèmes qui gagnent à se mûrir dans le silence et la tranquillité I