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SIMON (RICHARD)


l’Église », p. 332. Le I’. Auvray à qui ces détails sont empruntés (Oratoriana, 193-1, p. 198), cite encore J.Touzard, 1903, qui dit : « La valeur de cet homme extraordinaire a été certainement méconnue… mais il doit s’en prendre à lui-même » ; A. Lods, qui admet la partie négative de son œuvre mais ajoute : « On ne peut pas dire que son hypothèse positive… ait fait faire à la science un réel progrès ; M..Mac Queen Gray, qui rappelle sur Simon l’attention des érudits anglais qui paraissaient l’avoir oublié ; Ed. Heuss, qui reconnaît que son œuvre fut < le premier essai sérieusement conçu, et jusqu’à un certain point scientifiquement réalisé, d’une histoire de la Bible comme œuvre littéraire » ; Eb. Nestlé, qui, en 1901°, fait d’étranges réserves : « son côté faible est le commencement de Histoire critique du V. T., il ne se rapproche ni des catholiques ni des protestants, mais… des jésuites ». Trop longtemps, les protestants et les rationalistes semblaient avoir le monopole des études sur Richard Simon, ils s’aperçoivent de plus en plus qu’il n’est pas des leurs ; les catholiques se rapprochent au contraire et l’étudient avec une réelle sympathie. Le P. Durand, S. J., reconnaît que « si, à plus de deux cents ans de distance, on compare la position prise par Richard Simon dans la question du Pentateuque avec la récente réponse de la Commission biblique, on constate qu’elle se trouve satisfaire aux exigences du décret du 27 juin 1906°. Art. Critique biblique dans Dict. apol. de la foi cath., t. i, col. 765. Plus récemment, le P. Hôpfl, O. S. B., ajoutait : « Dans les ouvrages de Richard Simon, on trouve, çà et là, des hypothèses audacieuses, mais les principes de sa critique en général sont bons : aujourd’hui, ils sont admis pour la plupart, et par les auteurs même catholiques. » Art. Critique biblique, dans supplément au Dict. de la Bible, t. ii, col. 228. Il serait à désirer qu’un travail approfondi soit consacré à celui que l’on peut considérer comme le père de la critique biblique avec le P. Jean Morin, et dont l’originalité a été de poser le problème biblique dans les termes où il se pose aujourd’hui.

6° Importance de son œuvre. — Son œuvre est donc sans précédent et son influence a été et reste très grande :

1. Sur l’état général des esprits, qu’il a obligés à une plus rigoureuse exigence : ce que Descartes avait fait dans le domaine de la philosophie, Simon le fait dans le sien. Ce n’est point Port-Royal, il s’en vantait pourtant, qui a affaibli l’influence de la scolastique mais, pour une très large part, le critique qui ne se contentait pas de démonstrations abstraites, mais réclamait des raisons précises, qui, en histoire, exigeait des faits dûment constatés, se défiait des synthèses hâtives, des généralisations vagues. La première obligation personnelle, c’est de penser juste.

2. Sur les éludes religieuses.

Parmi les nombreux apologistes de la religion des trois derniers siècles, ce n’est pasluiquia le moins bien servi les intérêts de celleci : sans réclamer pour la science une complète indépendance en face de la foi, il a montré que l’une n’est pas l’autre et que la critique (lui scrute la valeur des documents, loin de nuire à la tradition véritable, la fortifie au contraire en écartant ceux qui sont dénués de force. Bien plus, il reproche aux théologiens de ne pas assez respecter leur science propre, en la restreignant à l’enseignement des maîtres contemporains ou Immédiatement antérieurs, et en négligeant le passe ; c’est le casd’Arnauld et de Nicole qui, sur la présence réelle ou tout autre dogme, ne savaient opposer aux protestants que d’interminables discussions, établissant qu’ils avaient pour eux une tradition qui les dispensait d’apporter des arguments sérieux. Est-il permis, est-il même possible, île taire reposer l’édifice théologique sur l’unique fondement de la foi aux miracles, si l’au torité des témoignages qui nous les font connaître n’est pas bien établie ? Ce n’est pas menacer, mais sauvegarder les intérêts les plus sacrés que de faire entrer le plus de vérité possible dans l’enseignement des choses religieuses.

3. En Écriture sainte spécialement.

Il a montré que la meilleure manière de respecter le passé, c’est d’apprendre à le connaître, et de cette connaissance des diverses formes de la Révélation et des sources primitives de la croyance, il tire une apologie plus durable et plus efficace que les arguments purement extérieurs ; l’histoire complète de la Révélation biblique lui fournit la solution de problèmes que le dogmatisme ne peut trancher, à moins que l’exposé scientifique des faits ne soit considéré comme une atteinte à la foi. Il apporte des faits précis pour montrer que les générations successives ont ajouté et réussi à incorporer quelque chose aux dictées de la Révélation divine dans la Bible, que celle-ci est une œuvre à la fois divine et humaine qui s’est développée, accrue, transformée à la manière d’un organisme vivant. C’est la divine économie de l’enseignement révélé, qui fait l’objet du IIIe livre de Y Histoire critique du V. T., qu’il aimait le plus.

Son mérite est d’autant plus grand que ce domaine avait été jusque-là complètement inexploré ; ceux qui sont venus après lui n’ont eu qu’à suivre la voie qu’il leur avait tracée et à se diriger selon la méthode qu’il avait déterminée. Fidèle aux règles de la critique, il essaie de tout comprendre, il ne veut rien condamner à priori, il ne jette d’anathème à personne. Quelle différence avec l’enseignement traditionnel, tel qu’Use donnait en Sorbonne depuis des siècles, différence de principe et de méthode et même de sujet dans le même objet.

Avec ses lacunes, impossibles à éviter, ses hardiesses, quelquefois trop grandes, son œuvre est un principe. Il est diflicile de marquer la place qu’elle occupe dans notre histoire littéraire et religieuse ; le nombre d’ouvrages qu’il a plus ou moins inspirés est considérable et ce serait une injustice d’oublier que Newman et les modernes héritiers de sa pensée n’ont pu s’élever à leur conception de l’histoire des dogmes qu’en profitant des lumières répandues par Simon sur les lointaines origines et le lent développement des concepts théologiques.

L’homme.

L’ouvrier ne valait peut-être pas

moins que l’œuvre et, si l’on doit lui reprocher certains défauts, il faut lui accorder un grand courage à défendre son opinion jusqu’au bout et la fidélité à sa foi chrétienne et religieuse. Contre Bossuet qui, à la certitude de vaincre, joignait l’autorité de sa situation, l’éclat de sa parole et l’ascendant de son génie, il n’avait que cette arme si suspecte de la critique et, pendant quarante ans, d’un incessant labeur, il la manie non seulement avec une suprême habileté, mais avec sang-froid, mesure et gaieté même ; il plaisante de « l’esprit pénétrant » de Bossuet qui devine « des pensées secrètes » et découvre des mystères là où il n’y a rien à pénétrer, ni à découvrir, liibl. critique, t. iv, p. 408. Il parle de « ces figures de rhétorique, si familières à l’éloquent censeur », p. 377. D’un tempérament naturellement bouillant, d’une humeur peu tolérante et que la contradiction irritait, il garde dans la riposte le sourire aimable du savant dont les réponses les plus ingénues ont encore le mérite de nous faire penser et qui n’a d’autre souci que de rester lui-même : Allcrius non sit qui suus esse potest, disait-il Volontiers. Il réfute, c’est vrai, Le Clerc avec mille marques de mépris et d’indignation, prodigue les mots de bévues, d’ignorance, de faux raisonnement, de petitesse d’esprit : c’est que l’adversaire avait commencé. De même avec les jansénistes, bien mal placés pour l’accuser d’être protestant, lorsqu’ils l’étaient au moins à demi.