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SOUFISME. DOCTRINES


platonicienne, mais encore tout le syncrétisme philosophique oriental. Le manichéisme persan, le mazdéisme sous le couvert d’un enseignement scientifique (astrologie et alchimie), introduiront des idées gnostiques et la doctrine de Vicliràq, l’illumination, provient de ces influences. Dieu et le monde sont conçus comme une lumière et notre mode de connaissance comme une illumination venue d’en haut par l’intermédiaire du monde des esprits.

L’islam s’est trouvé en rapport avec l’Inde et l’hindouisme par le port de Bassora et les colonies musulmanes établies sur les bords de l' Indus. Les influences indiennes incontestables dans le domaine de la médecine et des mathématiques, se sont également manifestées dans la mystique. Le célèbre ascète Biroûni, mort en 110 (1048). avait traduit et étudié le Yoga-sulra de Patanjali, le maître de l'école du Samkhya, celui qui a donné à la mystique hindouiste sa forme classique : le fana, l’anéantissement du moi, l'évanescence de la personnalité humaine aboutissant à la pérennisation en Allah ( baqù) semble bien être aussi d’origine hindoue.

On pourrait dire en résumé que la mystique musulmane, comme d’ailleurs toute mystique, procède ab inlrn de la grâce de Dieu, mais on devra estimer que les doctrines chrétiennes sur la perfection et les exemples du monachisme ont été la cause occasionnelle principale du soufisme. Des éléments dévotionnels ont été plus particulièrement empruntés au christianisme, des théories et des termes philosophiques, des analogies et des parallélismes relèvent du néo-platonisme et de l’hindouisme et les déviations extrêmes ont surtout leur source dans le manichéisme persan.

III. Doctrines.

Pour comprendre la mystique musulmane, il faut se rappeler avant tout que son objet propre et reconnu est le Dieu un et personnel de l’islam. Klle est donc d’inspiration strictement monothéiste et les déviations panthéistes ou monistes qu’on pourra y rencontrer sont étrangères au soufisme primitif. Dès lors, comme toute mystique monothéiste, qu’elle soit naturelle ou surnaturelle, le soufisme requiert tout d’abord une ascèse morale, une rectification des désirs et du vouloir, couronnée par un hommage complet de soi à l’fïtre transcendant, souverain Seigneur et souverain Bien.

On trouvera dans ['épltre (Rîsalà) de Qoshairî (i 165 (1073)], le premier exposé systématique de la doctrine soùfite. Conformément à la pratique chrétienne, Qoshairî place à la base de la vie mystique le repentir et la retraite. Le repentir véritable exige trois choses : le regret de ce qui a précédé, l’abandon actuel du péché, la résolution de ne plus y retomber à l’avenir. Il y a trois degrés dans le repentir : le repentir par la crainte du châtiment ; le repentir par le désir de la récompense ; et le repentir par respect de l’ordre de Dieu. La retraite est nécessaire pour mettre le soûfî dans la pureté de l'âme. H doit croire, en se séparant du monde, qu’il délivre les hommes de ses propres vices et non qu’il se sauve des vices des hommes.

I. 'ascèse comprend : la crainte de Dieu ou piété, l’abstention du péché ou purgation des vices, l’ascétisme proprement dit ou mortification. Il y a ascétisme d’abord, quand l’homme se tient avec patience et humilité dans sa situation, satisfait du sort que Dieu lui a départi, mais surtout quand Dieu ayant gratifié son serviteur d’un bien licite, celui-ci l’en remercie, puis, de sa propre volonté, s’en abstient malgré la permission divine.

Le silence, la componction, l’humilité sont les vertus propres aux ascètes, l.e silence est un moyen de se tenir en la présence de Dieu, l.a componction retient le ccrur et l’empêche de s'égarer dans les vallées de l’ignorance : « 1. 'homme qui a de la componction avance plus en un mois dans le chemin de Dieu que ne

le fait en un an celui qui en est dépourvu. » L’humilité conduit à l’abandon qui est le terme de l'éducation ascétique. Qoshairî le définit : « l'état du cœur qui se tient entre les mains de Dieu ». Iït ici apparaît la célèbre comparaison : « L’homme abandonné doit être entre les mains de Dieu comme le cadavre entre les mains du laveur, que celui-ci retourne comme il veut et qui n’a plus ni mouvement ni action libre. Il attache son cœur aux choses divines et se repose en Dieu qui lui suffit. Cet état d’abandon engendre la certitude et la certitude fait naître le rafraîchissement et la paix.

Pour que Dieu puisse ainsi se manifester au soûfî dans la paix, il faut que son âme soit désencombrée et soumise, qu’elle soit « anéantie », mais à condition de comprendre que cet anéantissement n’est que la cessation d’un gaspillage d'énergie. Le but de l’ascèse n’est pas de faire de l'âme un désert, mais plutôt un de ces jardins mystiques que chantent les poètes persans, où des floraisons embaumées et des arbres ployant sous les fruits s’offrent à la venue imminente du Mienvimé.

Chez les meilleurs parmi les contemplatifs musulmans, cette venue de Dieu est escomptée avec une confiance ferme qui soutient et oriente dès le début l’effort ascétique et ils décrivent les états par lesquels le soûfî doit passer pour parvenir à cet anéantissement qui permettra la manifestation de Dieu : « l.a croyance unitaire (c’est-à-dire la croyance monothéiste), dit Qoshairî, en est le commencement, l’invention de Dieu, le milieu et l’existence (c’est-à-dire la vie unitive), la fin. On n’atteint à l’existence qu’après être sorti du lieu de l’invention ; et Dieu n’existe (pour l'âme) qu’après l'évanouissement de la chair, car la chair ne peut exister quand apparaît le sultan de vérité. Avicenne [t 429 (1037)), Al-C.hazàli [f 505 (1111)] professent la même doctrine et, pour ce dernier, l’extase est l’aboutissement normal de l’ascèse. C’est " une perception immédiate comme si l’on touchait les objets avec la main et, ajoute Ibn Arabi |f 038 (1240)], la science de ceux qui possèdent la vérité, résulte d’une découverte divine et ne reçoit pas la contradiction. "

Mais cette union à Dieu, état de joie et de clarté où l'âme s’isole en compagnie de Dieu, ce point culminant des stations mystiques, cette transformation en Dieu, l’ascète n’y parvient que si Dieu lui-même invite et confère sa grâce. Et c’est là précisément le point douloureux de la mystique musulmane, par où elle manque son but et. dans son désir de l’atteindre malgré tout, finit par se détourner de Dieu et s'égarer dans toutes les déviations possibles.

Le soûfî présomptueux qui prétend forcer le seuil de la grâce par la vertu Intrinsèque de l’effort ascétique, qui sape tous les appuis naturels du moi, sans rencontrer d’autre part le soutien du bras divin, après une phase enivrante d’exaltation de son être intime, finit par s'écrouler dans un état d’annihilation et d’inconscience qui déçoit son ambition suprême. Il a cru rencontrer un Dieu personnel ; il défaille physiquement en n'étreignant que le moi vide. Il semble que ce soit cette amère déception que note M. Massignon chez le rude et impérieux ascète Bistàmî [t 260 (874)] : « Bistàmî constate que le concept même de cette pure évidence monothéiste n’est qu’une déception, khada’h. Se maintenir l’intellect en contemplation simple comme un miroir exposé aux attributs fulgurants de la Majesté divine n’aboutirait qu'à détruire la personnalité du mystique. »

A cette extase intellectuelle qui rappelle celle de Plotin, l’i mineuse majorité des soùfîs n’a jamais atteint. La plupart d’entre eux se sont sagement confines dans un mysticisme amoindri, mais d’autres, à la suite d’Ibn