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SUAREZ. DOGMATIQUE, L’INCARNATION


Il semble beaucoup plus malaisé de décider si les propriétés personnelles, comme la paternité et la filiation, constituent ou non des perfections différentes l’une de l’autre et différentes aussi de la perfection essentielle. Duns Scot, Capréolus et de nombreux thomistes le nient, alléguant qu’une relation, un simple esse ad n’implique de soi aucune perfection. Ainsi les créatures acquièrent-elles des relations et en perdentelles sans subir de changements. Comment supposer, d’ailleurs, une inégalité quelconque en fait de perfection entre les trois personnes de la Trinité? C. ix, n. 1 et 2, p. 603.

Quelques auteurs pourtant professent une opinion contraire, mais ne s’accordent pas sur la façon de l’expliquer. Ibid., n. 3, p. 603. Certains, par exemple, mettent une différence entre la bonté transcendantale qui consisterait dans l’intégrité de la perfection divine et la bonté comparative qui proviendrait de la convenance d’un terme ou d’un objet à l'égard d’un autre. Dans la mesure où les relations personnelles sont nécessaires à l’intégrité divine, il faudrait donc les considérer comme transcendantalement bonnes et de ce point de vue, cela va sans dire, il ne pourrait être question de leur attribuer différents degrés ou différentes sortes de perfection. Par contre, la bonté comparative qui résulte de la convenance de chacune des trois relations avec la personne correspondante, ne serait point identique dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ce qui n’offrirait du reste aucun inconvénient, cette bonté n'étant point d’ordre réel, mais résultant tout entière d’une considération de la raison. Ibid., n. 5 et 6, p. 604.

Suarez se refuse à entrer dans cette manière de voir. A ce compte, objecte-t-il, les personnes divines prises isolément ne seraient pas intégralement Dieu. Si, en effet, les trois relations personnelles sont indispensables à la perfection complète de l'Être infini, chacune d’elles en tant que réellement distincte des deux autres n’inclurait pas toute cette perfection. La paternité comme telle n'étant pas la filiation, ni la spiration passive, ne s’identifierait donc pas avec la bonté intégrale de la divinité. En d’autres termes, le Père, dans ces conditions, ne serait pas intégralement Dieu, ce qui semble vraiment inadmissible. Ibid., n. 7, p. 604.

Quant à l’opinion de Suarez, elle tient en ces trois propositions. Premièrement : la paternité doit sans aucun doute être considérée comme une perfection réelle et transcendantalement bonne. La relation qui la constitue est, en effet, réelle et elle est une perfection ; car c’est une perfection que d'être ce par quoi subsiste une nature. Comment admettre que le Père ne soit pas aimable en tant que Père et pourquoi l’estil, sinon parce que, comme tel, il a une bonté particulière. Ibid., n. 15, p. 606.

Deuxième proposition : la perfection et la bonté propres de chacune des trois personnes divines ne peuvent être pourtant que relatives ; des êtres relatifs étant incapables d’un autre genre de bonté. Ibid., n. 18, p. 607.

Troisièmement : il y a donc dans la Trinité trois perfections relatives et réellement distinctes entre elles. Loc. cit., n. 19.

Dira-t-on dès lors que le Père possède une perfection qui ne se trouve point chez le Fils et vice-versa ? Rien ne s’y oppose, à condition toutefois de noter qu’il s’agit en pareil cas de ce que Suarez appelle des perfections non simpliciler simplices, c’est-à-dire de perfections opposées entre elles et cependant suffisamment équivalentes pour qu’aucune ne puisse être considérée dans l’ensemble comme ontologiquement meilleure que les autres. C. x, n. 4, p. 608.

Par contre, il n’y a entre les relations personnelles et l’essence aucune opposition, puisque celle-ci se re trouve exactement la même en chacune de celles-là. Par ailleurs, le fait de subsister en trois hypostases n’ajoute rien à la perfection de la divinité en tant que telle, une perfection infinie n'étant point susceptible de s’accroître. Ibid., n. 6, p. 609.

III. L’incarnation. — 1° La cause principale de l’incarnation. — C’est après une longue introduction sur la convenance et la nécessité de l’incarnation, que Suarez aborde la question très controversée du motif pour lequel elle a été voulue et réalisée.

1. Questions préalables.

On pourrait, il est vrai, se demander si cette question se pose vraiment, étant donné qu’en Dieu intelligence et volonté se confondent et qu’il ne semble pas dès lors y avoir en lui de fondement à une distinction entre les motifs pour lesquels il se décide et cette décision elle-même. Autrement dit, le problème de la cause de l’incarnation n’a de sens que dans la mesure où il est permis de considérer tel acte des facultés divines comme antérieur ou postérieur à tel autre.

Ce n’est pas le lieu de discuter les différentes opinions émises à ce sujet. Notons seulement celle de Suarez d’après qui les vouloirs de l'Être infini peuvent être conçus par nous comme virtuellement postérieurs à ses projets, parce qu’il y a vraiment dans sa nature un fondement qui justifie l’ordre de succession suivant lequel notre esprit est forcé de se les représenter les uns par rapport aux autres. Disp. V, sect. i, n. 1, t. xvii, p. 197.

Ainsi sommes-nous en droit de ranger, suivant les cas, telles opérations de l’intelligence divine avant ou après telles opérations de sa volonté et, de même, tels actes de chacune de ces deux puissances avant ou après tels autres. Enfin pouvons-nous, en vertu du même principe, distinguer chez le Créateur une science de simple intelligence concernant les possibles, une science de vision concernant les réalités présentes ou futures, et une science moyenne concernant les futuribles. Ibid., n. 6, p. 199.

Il suit encore de là qu’il est permis de discuter si, dans les plans de la Providence, l’intention de la fin précède nécessairement le choix des moyens. Sur ce dernier point, on peut dire en général que, s’il s’agit d’une intention visant un but qui ne sera pas atteint, comme par exemple, la volonté salvifique universelle, cette intention, pour être conçue avec sagesse, suppose les moyens de la mener à bonne fin connus comme possibles et suffisants. S’il s’agit, par contre, d’une intention efficace, c’est-à-dire dirigée vers un but qui doit être atteint, elle est nécessairement accompagnée de la science de vision des moyens qui y mènent sans faute et précédée de la science conditionnelle des moyens capables d’y mener sûrement. Ibid., n. 7 et 8, p. 200.

De ce que cette dernière soit antérieure au choix de la fin et nécessaire à sa réalisation, il n’en résulte nullement toutefois qu’elle soit le motif déterminant de cette élection ; ainsi Dieu n’a-t-il pas créé le monde à cause de nos mérites, bien qu’il sût que nous les gagnerions s’il le créait. Ibid., n. 10, p. 202.

Le mystère, d’ailleurs, ne consiste point seulement en ce que l’on puisse, sans faire complètement erreur, attribuer à une nature parfaitement simple et immuable des actes successifs, comme un choix précédé et provoqué par le désir de parvenir à une fin, mais même un seul acte libre par lequel cette nature se décide, par exemple, à racheter le monde plutôt qu'à l’abandonner après sa chute, et cela de telle façon qu’elle demeure identiquement la même dans les deux hypothèses, ne gagnant pas plus à vouloir qu’elle ne perd à ne vouloir pas. Quandnousparlons d’une élection que Dieu a faite, nous ne signifions donc point par là un changement survenu en lui et ce n’est pas non plus, d’après Suarez,