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SCPERSTITION. CULTI. FAUX DE DIF. I

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formes, de ses causes, el d’abord de sa possibilité.

Mentir, dit saint Thomas, c’est signifier extérieurement le contraire de la vérité. Or, de même que les paroles, nos faits et gestes ont valeur de signes. C’est même cette sorte de signes en actions qui constitue le culte extérieur de la religion. Si donc ce culte exté-" rieur vient a signifier quelque chose de faux, il sera pernicieux. » II a -II B, q. xciii, a. 1.

Pour la première fois dans l'étude de la superstition, nous constatons qu’elle consiste avant tout dans une erreur en matière de signes : ici de signes extérieurs et cultuels. Comme en tout usage des signes, il y a ici l’homme qui cherche à exprimer sa religion, le signe cultuel qui a sa signification propre, et la réalité religieuse, res sign.ifi.cata, qu’on cherche à atteindre. Qu’il s’agisse de signes naturels ou conventionnels de religion, l’erreur ne réside pas dans le geste même, ut res natures, mais dans le sens qu’il a naturellement ou conventionnellement et ces conventions ont été fort variables au cours des siècles. Pour les signes naturels de religion, ils ne peuvent être entachés de fausseté que par la fausseté du sentiment religieux qui les dicte ; pour les signes conventionnels, au contraire, un homme religieux peut, avec les meilleures intentions du monde, enfreindre les conventions cultuelles admises autour de lui, et faire un acte extérieur de culte faux. L’erreur dans le signe de religion peut donc provenir du fait de l’agent, comme une erreur de tir peut venir du tireur qui a mal vu le but ou l’a mal visé. Mais, comme l’erreur peut provenir également du but qui s’est déplacé, de même le sens d’un acte de culte peut objectivement devenir faux du fait de la vérité religieuse, rcs significata, qui aurait changé. Le sens du signe religieux, comme de tout autre signe, est, en elïct, directement ordonné à la chose signifiée.

Ces préliminaires étaient utiles pour saisir toute la portée de la distinction thomiste sur les deux formes que peut prendre le culte faux du vrai Dieu : Hoc milrm contingii dupliciter : uno quidem modo, ex porte rri significatse a qua discordai significatio cultus… ; alio modo potesi contingere /alsitas in exteriori cullii ex parie colentis. IIMl*, q. xciii, a. 1. Quelles sont donc ces deux formes « contingentes », issues de deux ci’ités distincts'?

1. La première forme de fausseté provient « du fait de la réalité signifiée, avec laquelle est en désaccord la signification du culte ». La première raison de désaccord provient « de la réalité religieuse » elle-même, par le l’ait qu’elle n’est pas bien exprimée par les symboles. Or, dans le culte faux du vrai Dieu, la réalité qu’on veut signifier, c’est le vrai Dieu, avec ses vrais attributs, avec sa providence et ses vrais plans de salut tels qu’il les a révélés. Et la première erreur, foncière, irrémédiable, viendra « le ces augustes réalités, qui, trop élevées, échappent aux visées des hommes, ou qui, développant dans l’histoire humaine, leur dessein éternel, rendent périmés les rites anciens. Cette explication, tout à fail philosophique d’ailleurs, s'éclaire de l’exemple proposé par la suite de l’article : celui du

progrès de la révélation et de la substitution à l'économie mosaïque de l'économie chrétie. toutes deux

pourtant révélées de Dieu. C’est la situation des Juifs pratiquants, qui axaient entre les mains des rites bien faits pour les siècles d’attente du Messie, mais incapables, par le développement du plan de salut, d’exprimer la nouvelle réalité chrétienne. Ce qu’ils avaient eu tant de peine à admettre provisoirement, du temps

des prophètes, ils devaient désormais l’admettre tout

de lion et comprendre bien que tout cela était périmé,

du fait de la promulgation de la vérité « le l'Évangile : au temps de la Loi nouvelle, une fois accomplis les

mystères du Christ, il est pernicieux d’employer les

cérémonies de l’ancienne Loi qui signifiaient les mystères du Christ comme futurs : ce serait aussi mal que de professer en paroles que la passion du Christ est encore à venir. II*-II", q. xciii, a. 1.

Mais le cas du culte périmé n’est qu’un exemple entre mille : il y a bien d’autres formes du culte faux du vrai Dieu ex piarte ni signiftcahe : toutes les infiltrations païennes dans la religion naturelle monothéiste, dans la religion des Juifs mêlés aux Chananéens. et jusque dans la religion chrétienne à diverses époques. Saint Thomas, pour ne pas se répéter, s’est réservé d’en traiter à propos de l’idolâtrie, IWI', q. xciv ; mais les ternies qu’il emploie alors montrent bien qu’il voit la malice propre de ces chrétiens mal convertis dans le culte faux du vrai Dieu, qui va contre leur vraie pensée religieuse. L’idolâtrie est évidemment une déviation totale de la religion ; elle est du moins franche, tandis que, » s’il s’agit d’une idolâtrie purement extérieure, il s’y ajoute culpa falsitatis. Ibid., a. 3. ad l" m.

On peut dire enfin que bien des usages d’origine païenne, avant d’avoir perdu tout leur sens religieux, ont été adoptés sans grande conviction par des populations chrétiennes : on peut les ranger sans hésiter parmi ces cultes faux du vrai Dieu, parce qu’ils se heurtaient, sinon à la foi bien incertaine de ces populations, « lu moins au roc dur du dogme ou de la morale chrétiennes : rci christiaiuc, a qua discordât significatio cultus. Et les prêtres qui encourageaient ces superstitions tombaient sous l’ironie de saint Augustin : « On est d’autant plus condamnable qu’on agit soi-même mensongèrement et qu’en partageant les illusions du peuple on se croit dans la vérité, i De cii>. Dei, toc. cit. Quant aux victimes de ces propagandes, on peut être pour elles assez indulgent : Dans ces falsifications, il y a mensonge, quantum est ex parte aetus exterioris ; il y a des récits et des rites absolument faux ; mais les gens qui s’y laissent prendre croient exprimer la vérité : c’est la chose qui ment et qui tient cette fausseté de sa propre origine. » Cajétan, In // am -// æ, q. xciii, a. 1. On remarquera qu’en cette première catégorie de cultes faux, il n’est question ni d’invention ex parte coleidis. ni de prohibition de la part de l'Église : c’est que l’opposition préexiste entre chose et chose, entre la vérité « liine et « les pratiques aussi vieilles et anonymes « pie le paganisme. Les gens n’avaient pas à inventer des reviviscences des anciennes religions, et l'Église n’avait qu'à constater « pie ces usages étaient antichrétiens.

2. La seconde catégorie « le cultes faux du vrai Dieu vient au contraire d’une fausse initiative de celui qui fait acte « le religion : ex parte colentis m cullu exteriori. Le signe extérieur de religion, en elïct. a toujours un sens plus ou moins mystérieux, d’autant qu’il consiste en attitudes muettes, en gestes, en offrandes, en utilisation de choses sacrées, qui oui servi à toutes les

religions successives. Les auteurs modernes, plus

avertis que saint Thomas des i imprécisions des symboles », ont montré « pie beaucoup de symboles, usités « au sein de races devenues panthéistes, qui leur l’eu daient nu culte direct. pouvaient serv ir. a l'étal pure

ment symbolique à signifier l’unité « lu vrai Dieu. E. c.ailliet. Symbolisme et âmes primitives, p. 207. Mais

les anciens scolasl iques en ont reconnu aussi la rcla livile : l’adoration, par exemple, ou plutôt le pnister nenicnt. peut être adresse eu hommage a un maître terrestre, S. Thomas, 11' II, q. ixxxiv. a. 1 et 2. Par contre l’adoration, au sens étymologique, le geste

de porter la main à sa bouche (<"/ OS). qui n’a rien de bien Significatil par lui-même, avait été profane par de si lon^s siècles d’idolâtrie et « le persécution « Hic les chrétiens de ces temps la lui donnèrent un sens pernicieux.