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SYNDfiHfcSE

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fin dernière en Dieu, sans lui attribuer un rôle différent de celui des autres causes secondes. La fonction de la volonté sera de se soumettre aux lois de la finalité universelle que lui impose la raison pratique. Dans cette perspective, le fondement dernier de la dotation morale de l’homme se ramène aux seules dispositions fondamentales de la raison pratique, c’est-à-dire de la conscience morale. Dans la conception franciscaine. par contre, la volonté humaine est orientée vers la fin dernière par une finalité morale distincte de la finalité métaphysique universelle. Dans cette perspective, la volonté doit bénéficier d’une dotation morale particulière distincte de celle de la conscience. C’est à quoi répond la doctrine franciscaine de la syndérèse. Nous allons indiquer l’essentiel des deux doctrines.

1° Doctrine de saint Thomas (Voir Sum. theol., I a, q. lxxix, a. 12 et 14 ; I » -II », q. xciv, a. 1 ; De veritale, q. xvi, a. 1-3). — Saint Thomas appuie sa doctrine principalement sur le texte cité de saint Jérôme, dont il rapproche des passages, concernant la conscience, de saint Jean Damascène, saint Basile et saint Augustin. Il est à noter que saint Thomas semble également prendre le terme a’jv-r^pTjO-iç pour synonyme de crjvetS7)(T'.( ;. Voici le passage du Damascène : AsysToco Se xal f, f.uiTepx auveL8r ( o !.ç vôu, oç ioû voôç ^wv, (saint Thomas traduit : Dicit quod synderesis est lex intellectus nostri), De fide orthod., t. IV, c. xxii, P. G., t. xerv, col. 1200. Quant à saint Basile, il est dit de lui : Basilius synderesini naturale judicatorium nominal, mais le texte invoqué ne fait pas mention de la conscience, il y est simplement question d’un xptTrjpiov ouolxÔv, le naturelle judicatorium de saint Thomas, par lequel nous discernons le bien et le mal. Homil. in Princ. Prov., P. G., t. xxxi, col. 405. De même le texte d’Augustin, cité par saint Thomas dans le De veritale, q. xvi, a. l, ne contient qu’une mention générale se rapportant à la conscience, il y est question des règles immuables que sont les vertus elles-mêmes : queedam regulæ et lumina virtutum et vera et incommutabilia, sans qu’il soit fait mention de la syndérèse ou de la conscience. On voit donc que l’identification de la syndérèse à Vhabilus des premiers principes moraux est le fait des traditions scolastiques suivies par saint Thomas.

Dans l’enseignement traditionnel saint Thomas distingue trois opinions. Les uns considèrent la syndérèse comme un pouvoir indéterminé, distinct de la raison et supérieure à celle-ci — il s’agit sans doute de la tradition franciscaine — d’autres en font un pouvoir indéterminé qu’ils identifient à la fonction naturelle de la raison, d’autres encore, en font le pouvoir naturel de la raison, mais en tant qu’il est déterminé par un habitus inné, (l’est cette dernière opinion que saint Thomas adopte lui-même. Le pouvoir naturel de juger est fondé chez l’homme sur la connaissance intuitive des principes naturels innés à la raison. Cette connaissance ne saurait exister en nous simplement à l'état d’un pouvoir indéterminé. La possibilité de disposer promptement en toute occasion de ces vérités premières suppose que celles-ci ont dans notre esprit le caractère déterminé d’un habitus. Dans la raison spéculative cette disposition constitue Vhabilus [/rimorum principiorum des vérités théorique., , la syndérèse est l'équivalent de cet habitus dans l’ordre de la raison pratique, elle est la connaissance habituelle des principes du droit naturel, habitus aussi déterminé que celui des principes de la raison spéculative. 1 >< veritale, q. xvi, a. 3. Cet habitus fait partie de la constitution < ! e ! a nature h um aine, au point que la déchéance la plus profonde ne saurait le détruire, (.'est par la syndérèse que l’homme garde toujours conscience de sa vocation morale, point de départ d’une conversion qui reste toujours possible à l’aide de la grâce. Loc. cit., q. xvii, a. 2, ad 3 uæ. Chez les damnés

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

même la syndérèse subsiste comme source de leur sentiment de culpabilité et de leurs remords.

Définie par Vhabilus des premiers principes moraux, la syndérèse sert de fondement à la distinction devenue classique, de la conscience habituelle et de la conscience actuelle ; voir Conscience, t. iii, col. 1156 sq., surtout col. 1162. Son contenu est déterminé dans la doctrine thomiste en fonction des principes métaphysiques qui régissent l’ordre universel de la création. Les principes constituant la syndérèse sont essentiellement l’expression, dans l’homme, des principes généraux qui président à l’activité des causes secondes. La conscience morale reflète nécessairement l’ordre universel dans lequel chaque être est déterminé à agir conformément à sa nature propre, à poursuivie la perfection de son être sous l’actuation de la cause première et dernière qui est Dieu. Appelé à se conformer librement à cet ordre, l’homme a le privilège de le connaître. La syndérèse est ainsi la conscience des nécessités universelles qui s’imposent à la volonté libre sous la forme de l’obligation morale. Ses principes constituent les obligations morales premières, sources et fondement de tous nos devoirs. La nature de ces vérités morales premières pose le même problème que celle des premiers principes spéculatifs : Sont-elles des vérités innées, présentes à la conscience à titre d’idées innées, ou sont-elles simplement des vérités incluses virtuellement dans nos jugements et que la raison connaît après coup par abstraction ? La solution donnée par saint Thomas se tient entre ces deux conceptions, De veritale, q. xvi, a. 1. Les premiers principes sont des vérités premières que l’intelligence saisira intuitivement dès ses premières démarches en vertu d’un habitus inné. Ce n’est pas l’idée qui est innée en tant que telle, mais l’esprit la contient en quelque sorte en puissance, elle jaillira de la disposition innée à l’intellect. Ainsi l’usage de la raison pratique comporte nécessairement la connaissance de l’obligation première et fondamentale qui s’impose à l’homme d’agir conformément à sa nature et de respecter les relations essentielles qui conditionnent cette nature. On peut donc formuler le premier principe de la syndérèse par cet impératif : « agis conformément à ta nature. » Sa présence se traduit dans toutes les consciences humaines par la nécessité universelle d’aimer le bien et de fuir le mal, c’est-à-dire d’aimer ce qui est conforme et de fuir ce qui est contraire aux exigences de la nature raisonnable de l’homme. De ce premier principe procèdent immédiatement d’autres qui formulent la nécessité de respecter, en même temps que notre nature, les relations que celle-ci soutient avec Dieu et nos semblables : » agis envers Dieu conformément à ce qu’il est pour toi », « agis envers le prochain conformément à ce qu’il est pour toi ». Notre nature dépend, comme toutes les causes secondes, dans son existence et dans son action de l'Être nécessaire. Ainsi, d’après saint Thomas, l’obligation d’aimer Dieu comme notre fin dernière est, dans notre syndérèse, le reflet du déterminisme finaliste universel qui s’impose à notre volonté comme elle s’impose à l’ensemble des causes secondes. C’est pourquoi cette obligation est nécessairement présente aux premières démarches de la raison pratique. Cette conception des premiers principes de la syndérèse explique la position si originale, adoptée par saint Thomas dans la célèbre question de l’enfant qui parvient a l’usage de la raison. Le premier devoir qui s’impose à la consciente de l’enfant sera celui d’ordonner sa volonté vers Dieu par un acte d’amour. La clarté des principes de la syndérèse, miroir de l’ordre métaphysique universel, est telle cpie l’enfant ne saluait commettre un péché véniel avant d’avoir, ou obéi, ou désobéi à ce premier devoir envers Dieu. Voir la discussion de ce problèm, chez

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