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L655 SCIENCE DE JÉSUS-CHRIST. SYSTÉMATISATION THÉOLOGIQUE 1656

— de reprendre dans le détail. Nous nous en tiendrons ici aux cinq points abordés par saint Thomas : son objet, son rapport aux images sensibles, sa nature intuitive ou discursive, sa comparaison avec la science dis anges et d’Adam innocent, son caractère actuel ou habituel.

a) Objet.- -On ne s'étonnera pas d’un certain désaccord entre théologiens. SaintThomas lui-même semble avoir varié. Dans le Commentaire sur les Sentences, il déclare que, par cette science, le Christ ne connaît pas « tout ce qui n’a pas rapport à la perfection de la faculté intellectuelle, … comme sont les gestes particuliers des hommes et autres choses de ce genre, que le Christ pourtant connaît dans le Verbe ». In 1 1 ! "" Sent., dist. XIV, q. i, a. 3, sol. 1. De cette science il faut exclure « certains singuliers contingents » (sans doute, les futurs contingents), ibid., sol. 5, ad 2um. — Dans la question disputée De veritate, q. xx, a. 1 sq., saint Thomas ne place dans le Christ qu’une science infuse naturelle, mais ne parle pas de science surnaturelle. De cette science naturelle infuse doivent être exclus : l’essence divine, les futurs contingents, les pensées des cœurs, que le Christ connaît seulement dans le Verbe. Mais dans la Somme théologique, III », q. xi, a. 1, saint Thomas enseigne que le Christ a possédé une science surnaturelle infuse et que, par cette science, il a connu « tout ce que les hommes connaissent par révélation divine ». Seule l’essence même de Dieu échappe à cette connaissance. Si la connaissance des singuliers n’appartient pas à la perfection de l’intelligence spéculative, elle relève cependant de la perfection de l’intelligence pratique. C’est pourquoi le Christ connaît « tous les singuliers présents, passés et futurs ». Même doctrine à la q. XII, a. 1, sol. 3 et dans Comp. theol., c. ccxvi. Cf. Ch.-V. I Iéris, O. P., Le Verbî incorné (Somme lliéol., édit. des Jeunes, t. ii, note 49, p. 321-326).

Les théologiens admettent généralement cette connaissance universelle et distincte de tout ce qui n’est pas l’essence divine, êtres et faits passés, présents et futurs, même contingents ; cf. Cajétan, Médina, Sylvius dans leurs commentaires sur la 1 1 1 q. xi ; Jean de Saint-Thomas, De incarnatione, dis]). XIII, a. 3 ; Gonet, ibid., dist. XVII, a. 2 ; Salmanticenses, ibid., disp. XIX, dub. i. Quelques-uns cependant font exception et enseignent que, sur plus d’un objet naturel, la science infuse du Christ ne lui donne qu’une connaissance commune et indistincte. Cf. Scot, In 1 1 / um Sent, dist. XIV, q. iii, voir t. iv, col. 1892 ; Durand de Saint-Pourçain, ibid., q. m et iv ; et la plupart des nominalistes.

b) Rapport aux images sensibles (q. xi, a. 2 ; cf. In /// um Sent., dist. XIV, a. 3, qu. 2 ; De veritate, q. xx, a. 3, ad l um).- -Le Christ, à la fois « voyageur et i coinpréhenseur », a participé aux conditions de l’homme en cette existence terrestre et à celles du bienheureux parvenu au terme et cela surtout sous le rapport de l'âme intellectuelle. Or, les âmes bienheureuses peuvent, avanl comme après la résurrection, faire acte (l’intelligence sans recourir aux images ; mais l'âme du Christ viateur pouvait tout aussi bien y faire appel ; les sens ne lui étaient donc pas inutiles, d’autant moins que les sens sont donnés à l’homme non seulement pour sa connaissance intellectuelle, mais aussi pour sa vie animale. » Q. XI, I. 2, ad 3um.

Les commentateurs font observer que si le Christ pouvait, pour l’usage de sa science Inf use, recourir aux images, ce n'était pas pour chercher en elles le prin cipe de la connaissance infuse. L’intelligence n'étail pas Indépendante d’elles : Douée de science infuse, l’intelligence évoque et forme des Images correspondant a l’objel de sa connaissance, el elle considère ce1 objet, non pas en lui même, mais dans sa relation aux

images ainsi évoquées. » Ch.-V. I loris, O. 1'.. „p. cit., note 50, p. 326.

On devra noter ici l’opinion assez complexe de de Lugo qui admet que la science infuse du Christ n’a jamais pu être indépendante des images, que le Christ a reçu à l'âge adulte des idées infuses semblables aux idées que nous formons et qu’enfin ces espèces intelligibles n’ont été infusées par Dieu que progressivement, à mesure que les organes de l’imagination étaient mieux disposés. Disp. XXI, sect. i. Ci. Stontrup, op. cit., thèse i.xxi, p. 1092-1094.

c) Sature intuitive ou discursive de cette science (IIP, q. xi, a. 3 ; cf. In III™ Sent., dist. XIV, a. 3 : De veritate, q. xx, a. 3, ad l um). — La science infuse du Christ ne fut pas discursive dans son acquisition ; car elle ne fut pas acquise par investigat ion rationnelle, mais divinement infuse. Mais elle a pu être discursive dans l’usage que le Christ en a fait, cal le Christ pouvait, comme il lui plaisait, conclure une chose à partir d’une autre ». S. Thomas, a. 3. Voir un exemple de cette manière de conclure dans Matlh., xvii, 2 1-20. Cette pos sibilité toutefois est niée par certains auteurs, notamment saint Bonaventure, In III am Sent., dist. XIV, a. 2, q. ii, ad oit. ; Vasquez, In III* m part. Sum. S. Thomæ, dis>. LU, a. 2, n.29 ; Suarez, disp. XXVIII, sect. il. L" raisonnement chez, le Christ devrait être rapporté à la science acquise.

d) Comparaison avec la science des anges et celle d’Adam innocent. — a. Avec la science angélique (IIP, q. xiv, a. 4 ; In ///"" » Sent., dist. XIV, a. l, qu. 1, adl um ; a. 3, qu. 2, 4 ; De veritate, q. xx. a. 4 ; Comp. theol., c. ccxvi). — « Par rapport à la cause qui la produit…, la science du Christ fut plus excellente que celle des anges, soit en ce qui regarde le nombre des objets connus, soit en ce qui regarde la certitude de la connaissance ; car la lumière surnaturelle communiquée à l'âme du Christ est beaucoup plus parfaite que celle qui se rapporte à la nature angélique.

b. Avec la science infuse d’Adani innocent. — La science infuse fut donnée à l'âme du Christ comme elle avait été accordée à Adam, en raison du rôle de chef » que l’un et l’autre devaient jouer à l'égard de l’humanité. Toutefois la science du Christ diffère de celle d’Adam sous plus d’un rapp ut : la science infuse était due au Christ, comme une suite connaturelle à l’union hypostatique ; la science infuse d’Adam étail un don gratuit. Aussi la science du Christ fut-elle essentiellement infuse (infusa per se i. celle d’Adam fut accidentellement infuse (infusa per accidens). La science du Christ fut bien plus parfaite que celle d’Adam, dans son intensité et dans l’extension de son objet en raison et de l’intelligence plus parfaite de Jésus et de renseignement bien plus élevé que le Christ devait donner aux hommes rachetés par lui et dans l’ordre des vérités naturelles et dans l’ordre dos vérités surnaturelles. La science infuse du Christ était incapable en soi de recevoir un accroissement ;

elle ne recevait de la science expérimentale que do simples confirmations ; la science d’Adam pouvait recevoir dos accroissements continus par l’expérience progressive des choses. Enfin la science infuse d’Adam fut obscurcie par le péché ; colle du Christ a été constamment rehaussée par l'éclat do sa sainteté. Cf. !.. Janssens, Snm. theol., t. viii, De hominis elevatione et lapsu, p. M. coroll. i : l". rlugon, Truet. dogmatici, t. ii, 5° éd., p. 507.

e) Caractère habituel <>u actuel ( IIP. q. xi, a. 5 ; cf. In 1 1 /"" Sent., dist. XIV, a. I. qu. u. m : De veritate, q. xx, a. 2). si la science bienheureuse du Christ fut nécessairement toujours actuelle, sa science infuse. par là mémo qu’elle fut proportionnée à la nature humaine, lui faisait connaître les réalités par dos espèces intelligibles divinement infuses : cette con-