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THÉOLOGIE. LE MOT

poétique, qui correspond à la mythologie, du point de vue rituel, c’est-à-dire quant au culte essentiellement politique des cités païennes, enfin du point de vue des théories que les philosophes ont élaborées, qui reviennent à donner une valeur et une formulation rationnelles à la religion poético-mythologique et au culte public des cités et que Varron appelle theologia naturalis, parce que cette théologie consiste à faire des dieux des personnifications des forces de la nature. On saisit là ce qui caractérise toute « théologie » païenne, où la divinité est toujours considérée comme une transposition ou une explication des choses de ce monde et non dans son mystère personnel ou sa nature intime : on n’obtient ainsi, remarque saint Augustin, qu’une physiologia, et non une theologia. De civ. Dei, t. VI, c. viii, col. 186 ; comparer Contra Faustum, t. XII, c. xl, t. xlii, col. 275.

Parmi d’autres acceptions plus particulières des mots θεολόγος, θεολογία, θεολογεῖν, celle qui se rapporte au culte public devait, sous l’Empire, connaître un emploi considérable et qui se rapproche de certains emplois chrétiens. Ces mots se réfèrent alors au culte impérial et signifient : attribuer la qualité de dieu (à César), reconnaître pour dieu, louer et honorer comme dieu. Stiglmayr, art. cité, p. 299 ; Kattenbusch, art. cité, p. 201.

II. Dans le christianisme.

Les chrétiens ont une révélation portant sur le mystère de Dieu : celle du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; aussi eussent-ils été portés, normalement, à entendre par théologie le fait de parler de Dieu en lui-même, s’ils n’avaient été plus ou moins longtemps gênés par les emplois païens du mot. Ceci est très sensible chez un Clément d’Alexandrie ou un saint Augustin, où le mot est tout proche de prendre son sens ecclésiastique définitif, mais se trouve encore déterminé par les emplois païens d’hier. Il est notable d’ailleurs que les Pères grecs se sont dégagés plus vite que les latins de cette espèce de prescription païenne.

Les Pères grecs.

Clément d’Alexandrie parle des « vieux théologiens » : ce sont Orphée, Linus, Musée, Homère, Hésiode et autres « sages ». Ils ont pris leur sagesse aux prophètes, en l’enveloppant d’allégorie, et ont ainsi appris auprès de ces prophètes τὴν θεολογίαν, Strom., v, 4, éd. Stählin, p. 340. Ici, θεολογία est pris absolument, pour signifier la connaissance des choses divines. Clément croit que les philosophes ont voulu réaliser une science de Dieu qui serait « la vraie théologie ». Strom., v, 9, p. 304. « La philosophie, soit barbare, soit hellénique, a fait de la vérité éternelle une parcelle, non de la mythologie de Dionysos, mais de la théologie du Verbe éternellement existant. » Strom., i, 13, p. 36. « On voit comment, pour Clément, de l’acception païenne du mot théologie se dégage une acception abstraite qui pourrait s’appliquer à la connaissance chrétienne de Dieu. Mais l’acception païenne est encore la seule reçue, et c’est ainsi que le théologien par excellence est pour les pythagoriciens Orphée, Strom., v, 8, p. 360. » P. Batiffol, art. cité, p. 213. Origène, lui, parle bien des « vieux théologiens des Grecs », comme aussi de « la théologie des Perses », etc. ; les théologiens sont pour lui les auteurs païens qui ont traité de religion et dont la doctrine s’appelle théologie. Mais, si Origène n’emploie pas θεολόγος dans un sens chrétien, il commence à purifier l’acception des mots θεολογία, θεολογεῖν, et il en connaît un emploi chrétien : dans le Contra Celsum, vi, 18, éd. Kœtschau, p. 89, et le Comm. in Joan., ii, 34, éd. Preuschen, p. 92, la théologie est une doctrine véritable sur Dieu ; puis, plus spécialement, une doctrine sur le Christ Sauveur, où celui-ci est vraiment considéré comme Dieu. Comm. in Joan., i, 24, p. 30. Quant au verbe θεολογεῖν, il est très fermement employé, en parlant de Dieu ou du Christ, pour signifier : reconnaître, proclamer et confesser comme Dieu, un peu dans le sens où les païens parlaient de la divinisation de César. Batiffol, art. cité, p. 213-217. Chez Eusèbe de Césarée, la décantation des mots et leur acception chrétienne sont chose acquise : il appelle saint Jean « le théologue » parce que son évangile est éminemment une doctrine sur Dieu, De ecclesiastica theologia, I, xx ; II, xii ; il connaît l’usage païen du mot théologie, mais il donne aussi délibérément à ce mot un sens proprement chrétien : « Je vais commencer par une manière plus sublime et plus excellente que tout ce qui est selon l’homme, c’est à savoir l’économie et la théologie selon le Christ. » H. E., i, i, 7 ; cf. II, prol. Cela signifie : traiter du Christ comme Dieu. « La théologie est pour Eusèbe si exclusivement la science du vrai Dieu et du Christ, que l’on ne saurait plus appliquer le mot aux faux dieux sans lui donner une épithète qui exprime que pareille théologie est une fausse théologie… Cet emploi constant par Eusèbe de θεολογία et θεολογεῖν, au sens de science du vrai Dieu et du Christ, prépare une innovation qui va être d’Eusèbe lui-même, dans un de ses tout derniers écrits (337 ou 338) qu’il intitulera Περὶ τῆς ἐκκλησιαστικῆς θεολογίας. Eusèbe a consacré là le terme que le pseudo-Aréopagite reprendra à son compte dans son Περὶ μυστικῆς θεολογίας. » P. Batiffol, art. cité, p. 218-219.

Quant à Denys, s’il reste dans la ligne d’un emploi des mots θεολογία, θεολόγος, fréquent chez les Pères grecs, pour désigner l’Écriture sainte et les auteurs inspirés de l’Écriture, il crée cette expression célèbre de « théologie mystique » et formule la distinction classique entre « une théologie cachée, mystique, symbolique et qui unit à Dieu, l’autre manifeste, plus connue, philosophique et démonstrative ». Epist., ix. Il ne s’agit pas là de différentes parties de ce que nous appelons la théologie, mais de diverses manières de considérer et d’aborder son mystère. Denys est encore célèbre en méthodologie théologique par sa notion de « théologie négative ». Mais, plus encore qu’une position de méthode, cette notion représente une position doctrinale liée à toute la synthèse de l’Aréopagite.

Dès lors, l’acception chrétienne de « doctrine véritable sur le vrai Dieu » est acquise pour les Pères grecs. Une certaine spécialisation du mot va s’opérer cependant, chez quelques-uns d’entre eux (Athanase, Grégoire de Nazianze), du fait des luttes trinitaires. Athanase emploie cinq fois le mot θεολογία, et toujours au sens de sacra doctrina de Trinitate. Aussi trouvons-nous le mot, chez saint Basile, De spir. sancto, 1845 pour désigner la divinité commune aux trois personnes. Stiglmayr, art. cité, p. 303. Grégoire de Nazianze, survivant aux grands champions de l’orthodoxie trinitaire, leur donnera le nom de « théologiens ». Ibid., p. 304. C’est chez ces Pères de la fin du ive siècle que se fixe la distinction, demeurée classique dans la théologie byzantine, entre la « théologie », ou doctrine portant sur la divinité des trois personnes au sein de la Trinité, et l’« économie », ou doctrine portant sur le Verbe dans le mystère de son incarnation.

Le mot θεολογία prendra un sens spécial chez les moines et les écrivains mystiques ; il désignera une connaissance de Dieu, la forme la plus haute de la « gnose » ou de cette illumination de l’âme par le Saint-Esprit qui est, plus que l’effet, la substance même de sa divinisation ou transformation déiforme. Chez Évagre le Pontique, suivi par Maxime le Confesseur et d’autres, la θεολογία est le troisième et le plus élevé des degrés de la vie, c’est-à-dire cette connaissance parfaite de Dieu qui s’identifie avec le sommet de la prière ; cf. M. Viller, Aux sources de la spiritualité de saint Maxime, dans Revue d’ascétique et de mystique, 1930, p. 164-165, 247 sq., 254.