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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/89

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    1. TERTULLIEN##


TERTULLIEN. DOCTRINE, LES FINS DERNIÈRES

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pouvoir à Pierre. » Ibid. Mais il ne justifie pas son interprétation. Autant il est intéressant de voir l’évêque catholique faire appel au texte célèbre de saint Matthieu sur le pouvoir des clés, autant le commentaire de Tertullien semble contraint et forcé.

Finalement d’ailleurs, Tertullien se trouve obligé d’admettre que l’évêque a le pouvoir de remettre les fautes légères : Levioribus delictis veniam ab episcopo consequi puterit. De pudic, xviii. Les fautes légères dont il est ici question ne sont d’ailleurs pas celles que nous appelons aujourd’hui vénielles ; ce sont des fautes graves, différentes des trois péchés irrémissibles que Tertullien réserve à la justice de Dieu. Dans l’Église, le jugement de ces fautes appartient à l’évêque : le fait est trop certain pour pouvoir être contesté et Tertullien le reconnaît, quelque gênant que cela puisse être pour son système.

En dehors de l’évêque, y a-t-il dans l’Église d’autres personnes qui aient le pouvoir d’absoudre les pécheurs ? Tertullien affirme qu’Agrippinus a reconnu ce pouvoir aux martyrs : « Voici, écrit-il, que tu livres cette même puissance aux martyrs. À peine quelqu’un d’entre eux a-t-il, grâce à des geôliers complaisants, revêtu de bénignes chaînes, aussitôt affluent les adultères, les débauchés ; c’est un concert de prières, un déluge de larmes, de la part de gens tarés. Les plus empressés à payer, pour se faire ouvrir la prison, ce sont ceux qui ne peuvent plus paraître à l’église… Et quand vit-on les martyrs, quand vit-on les apôtres eux-mêmes disposer de ce qui n’appartient qu’à Dieu ? Qu’il suffise au martyr d’expier ses propres péchés 1 Le Christ seul peut par sa mort, expier le péché d’autruil » De pudic, xxii.

Qu’il y ait beaucoup de rhétorique dans ce passage, nul ne songe à le nier. Cependant, Tertullien ne doit pas tout inventer et il y a un point de départ véritable à ses affirmations. Les fidèles n’ignoraient pas plus à Carthage qu’ailleurs l’efficacité de la prière et la valeur spéciale de l’intervention des martyrs, fl était dès lors naturel qu’ils se recommandassent à cette intercession et à cette prière. Comme les autres, plus que les autres, les pécheurs devaient agir ainsi. On est en droit de conjecturer qu’Agrippinus a organisé et réglé un usage qui existait avant lui et qui se maintiendra après lui. Au milieu du iiie siècle, lors de la persécution de Dèce, les confesseurs de Carthage adresseront à saint Cyprien ou aux prêtres qui le représenteront à Carthage, des libelles de recommandation en faveur des apostats pénitents ; et ces libelles seront si nombreux, ils seront rédigés d’une manière si impérative, si impertinente, que l’évêque devra s’en plaindre et rappeler que lui seul a autorité pour régler les conditions auxquelles les faillis pourront être réintroduits dans la communion de l’Église. Selon les vraisemblances, dès le temps de Tertullien, les martyrs avaient pris l’habitude de rédiger et de transmettre à l’évêque des billets de communion : l’évêque leur reconnaissait une certaine valeur, il se montrait tout au moins disposé à en tenir compte ; et c’est sans doute ce que marque le fougueux rhéteur lorsqu’il reproche à son adversaire de faire passer aux martyrs le pouvoir d’absoudre les plus graves péchés. On n’a pas le droit d’aller plus loin et il est fort peu vraisemblable que les martyrs aient jamais reçu le droit d’absoudre eux-mêmes les coupables, même sous l’autorité de l’évêque.

Les fins dernières.

Tertullien, argumentant

contre les valentiens, déclare, dans le De carne Christi, xii, que l’âme est le tout de l’homme : In hoc vana distinctio est, quasi nos seorsum ab anima simus cum totum quod sumus anima sit. Denique, sine anima nihil sumus, ne hominis quidem, sed cadaveris nomen. À la mort, l’âme quitte le corps et il ne reste plus rien qu’un cadavre.

Que devient l’âme à ce moment-là ? Les âmes des martyrs entrent immédiatement au paradis ; mais elles sont les seules à obtenir cette faveur. L’unique clé du paradis est le sang, De anima, lv ; cf. Scorp., xii ; Adu. Marc, v, 12 ; Apol., xlvii. Saint Jean, dans l’Apocalypse, n’a vu sous l’autel que des âmes de martyrs ; sainte Perpétue, elle aussi gratifiée des visions de l’audelà, n’a vu au paradis que les âmes de ses compagnons de supplices. Ceux qui veulent que le ciel s’ouvre sans retard aux âmes justes montrent donc un empressement qui ne saurait être satisfait. Aussi longtemps que le Christ est debout et non pas assis à la droite de son Père, aussi longtemps que la trompette de l’ange n’a pas encore sonné, le ciel demeure fermé.

Où donc vont toutes les autres âmes, en attendant le jugement général ? Aux enfers, c’est-à-dire dans le séjour mystérieux où le Christ passa le temps qui sépara sa mort de sa résurrection. Il y a d’ailleurs plusieurs demeures dans les enfers. L’une d’elles est le sein d’Abraham qui est réservé aux justes : Tertullien la décrit ainsi : Eam itaque regionem, sinum dico Abrahæ, etsi non cœlestem, sublimiorem tamen inferis, intérim refugium prsebituram animabus justorum, donec consummatio rerum resurreclionem omnium plenitudine mercedis expungat… temporale aliquod animarum fidelium receptaculum, in quo jam delinietur fuluri imago ac candida quædam utriusque judicii prospiciatur. Adv. Marc, iv, 34.

Distinct du sein d’Abraham est la partie des enfers où vont ceux qui n’ont pas entièrement satisfait à la justice de Dieu avant de quitter ce monde : In summa, cum carcerem illum, quem Evangelium demonstral, inferos intelligimus, et novissimum quadrantem modicum quoque delictum mora resurreclionis illic luendum interpretamur ; nemo dubitabit animam aliquid pensare apud inferos, salva resurrectionis plenitudine per carnem quoque. De anima, lviii. Le nom de purgatoire n’est pas prononcé, mais l’idée est très nette et très précise, et Tertullien y revient plusieurs fois, par exemple Adv. Marc, iii, 24 : Hsec ratio regni terreni, post cujus mille annos, intra quam œlalem concluditur sanctorum resurrectio pro meritis maturius vel tardius resurgentium. .. transferemur in cœleste regnum. Cf. De anima, xxxv ; Ado. Marc, v, 10 ; De resur., xlii.

Quant aux méchants, à ceux qui ont commis des fautes trop graves pour être jamais prédestinés, ils commencent tout de suite après leur mort à subir le châtiment ; mais ils n’entreront au séjour du supplice éternel qu’après le jugement dernier.

Tertullien croit que celui-ci n’est pas très éloigné. Dès l’Apologétique, il rappelle que la fin du monde avec les effrayantes calamités qu’elle doit amener est retardée par la puissance de l’empire romain, Apol., xxxii, et il ajoute que les chrétiens prient pour obtenir le retard de l’événement, Oramus… pro mora finis. Apol., xxxix. Dans le De oral., v, il déclare que le vœu des chrétiens est au contraire la prochaine venue du règne de Dieu. Dans le De cultu feminarum, ii, 9, il écrit : Nos sumus in quos decurrerunt fines seeculorum. Nos destinati a Deo ante mundum in extimalione temporali. Cf. Ad uxor., i, 2, 5 ; De resur., xxii ; De exhort. castit., vi ; De monog., vu ; De pudic, i.

Sa croyance est d’ailleurs fortement teintée de millénarisme, surtout durant la période montaniste de sa vie. À la fin du 1. III de YAdversus Marcionem, c. xxiv, Tertullien, après avoir établi la réalité du royaume céleste, ajoute que cette réalité n’exclut nullement celle d’un royaume du Christ sur la terre. Ce dernier royaume doit venir avant l’autre, pour les justes ressuscites et il durera mille ans dans la Jérusalem nouvelle descendue du ciel : l’Apôtre y fait allusion quand il parle de notre droit de cité céleste, Phil., III, 20. Montrée à Ézéchiel, Ez., xlviii, puis à